L'avenir de l'État providence en Europe : l'Europe garantit-elle bien la sécurité de ses citoyens ?

parJosef MONTAG, professeur assistant à l’International School of Economics of Kazakh-British Technical University (Kazakhstan), Cercle de Belém
22 Décembre 2016
Actualité

Neuvième intervention du colloque "L'avenir de l'État providence en Europe". L'ensemble des interventions sera publié sur notre site, rubrique "Actualités". Ce colloque était organisé par le Cercle de Belém et l'institut Jean Lecanuet, le 2 décembre 2015, au palais du Luxembourg.

La conception classique de l'État veut que sa mission principale soit de protéger ses ressortissants contre des agresseurs extérieurs et de faire respecter l’État de droit. L’État providence représente une extension de cette définition minimale, mais se rattache bien à la sécurité au sens large. Il repose sur l’idée de la nécessité d’un mécanisme institutionnel pour assurer les individus contre les aléas de la vie, comme la maladie, le chômage ou la vieillesse. En effet, le jeu du marché ne fournit pas une sécurité suffisante et les dispositifs traditionnels de protection, comme la famille, la communauté locale ou l’Église, ne sont pas accessibles à tous. L’État providence repose également sur l’idée que prémunir les citoyens contre ces aléas réduit l’emprise que les populistes et les extrémistes seraient susceptibles d’acquérir auprès des moins favorisés, mettant ainsi en danger la démocratie et la liberté.

La capacité des démocraties occidentales à garantir, non pas l’extension, mais la toute première des sécurités de leurs citoyens est, aujourd’hui, remise en cause. Les populistes déclarent qu’un compromis est nécessaire entre liberté, d’une part, et sécurité, d’autre part. On peut citer à titre d’exemple de ces leaders populistes Viktor Orban en Hongrie, Jarosław Kaczynski en Pologne, peut-être le président tchèque Miloš Zeman ou encore Marine Le Pen en France. L’Europe de l’Est a, d’ailleurs, été la cible d’une propagande, apparemment d’origine russe, dépeignant les leaders européens et de l’Union européenne elle-même comme incompétents, incapables de surmonter les crises – la crise financière tout d’abord, puis la crise grecque et désormais la crise des migrants. Selon cette même propagande, l’Europe centrale et orientale ferait mieux de quitter l’Union européenne pour revenir vers la Russie.

Les démocraties occidentales échouent-elles vraiment à garantir la première des sécurités à leurs citoyens ? Sur une période de dix ans, de 2005 à 2014, l’Europe des quinze a déploré 125 morts liés au terrorisme. Sur la même période, la Russie en a compté 1 276. Pour mémoire, la population russe est de 140 millions de personnes, alors que celle de l’Europe des quinze est de 400 millions. En d’autres termes, les quinze comptent dix fois moins de morts liés au terrorisme que la Russie, alors qu’elle est trois fois plus peuplée. Elle est donc trente fois plus sûre que la Russie en matière de terrorisme. Sur cette même période, la France s’est révélée plus sûre en moyenne que le reste des quinze, bien que cette année constitue malheureusement une exception1.

Si l’on craint le terrorisme, mieux vaut donc aller en Europe de l’Ouest, et même en France, plutôt qu’en Russie. L’objectif n’est pas de diaboliser la Russie, mais de suggérer que les États de l’Union européenne sont plus performants pour garantir la sécurité de leurs citoyens et devraient inspirer les Russes plutôt que l’inverse.

De même, le nombre d’homicides volontaires a été de 9 à 10 par millier d’habitants en Russie au cours des dernières années. En France, en Allemagne, au Royaume-Uni et en République tchèque, ce nombre est de 1. L’Europe est dix fois plus sûre que la Russie pour les crimes de sang. A moins que les populistes parviennent à nous convaincre qu’ils peuvent offrir une meilleure protection, l’Etat providence européen est un concept à conserver et à protéger.

De manière générale, l’infrastructure de protection qui existe en Europe fonctionne bien et il n’y a pas lieu de la modifier. Bien sûr, il est possible de l’améliorer, mais le canevas déjà existant est à conserver. L’un des principes les plus fondamentaux de l’Union européenne, bien qu’il soit souvent négligé dans le discours public, est la subsidiarité, qui consiste à réserver à l’échelon supérieur uniquement ce que l’échelon inférieur ne pourrait effectuer que de manière moins efficace. Le mot paraît peu séduisant comparé, par exemple, à celui d’« harmonisation ». Cet état de fait est regrettable, car nous avons besoin de mieux réfléchir à ce qui doit être réalisé par l’Union européenne et ce qui gagne à se faire à l’échelle des États.

Un bon exemple est la politique en matière d’immigration dans les pays de la zone de Schengen. Il n’est pas viable que tous les pays bénéficient des avantages découlant de frontières ouvertes, alors que seuls les pays frontaliers en font les frais. Des frontières communes impliquent que l’immigration, le droit d’asile et la protection des frontières deviennent des enjeux communautaires, pour lesquels il faut davantage de coordination et de partage des coûts. En revanche, il faut se méfier d’une harmonisation trop poussée de la protection sociale des États. D’abord, les différents régimes d’État providence sont historiquement profondément implantés dans leurs sociétés. Une approche uniforme n’est pas toujours adaptée. Ensuite, la décentralisation en la matière facilite l’innovation, l’expérimentation et l’adoption des pratiques efficaces. Enfin, elle favorise la concurrence, ce qui peut motiver les politiques à améliorer l’efficacité des régimes sociaux de leurs pays.

Pour résumer, l’État providence européen n’a pas un avenir, mais plusieurs.


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1. La France a été la cible d’une série d’attentats en 2015 et 2016. (NDLR)

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