NOTE DE LECTURE - PANORAMA

La force romanesque du langage

parJérôme BESNARD, essayiste, chargé d’enseignement à l’université Paris Cité

Articles de la revue France Forum

Morteparole de Jean Védrines
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Chant furieux de Philippe Bordas

Philippe Bordas, qui signe, ici, son premier roman, et Jean Védrines, pour qui il s’agit du sixième, ont en commun d’admirer l’œuvre du philosophe Pierre Boutang. À lire leurs tentatives transformées de ressusciter les tréfonds poétiques de la prose française, on est en droit de conclure que le plaidoyer de leur vieux professeur en faveur de la logocratie, du pouvoir héroïque du langage cher à Giambattista Vico, a trouvé d’étincelants disciples.

Chant furieux, premier et épais roman du photographe Philippe Bordas, est une chanson de geste composée autour de la fin de carrière du joueur professionnel Zinedine Zidane, en 2006. Il y a chez Bordas cette volonté exprimée de se faire le Joinville des héros sportifs contemporains comme ce dernier se fit le chroniqueur de Saint-Louis. Chant furieux, c’est une mélopée où les mérites relatifs du sujet sont sublimés dans un éloge du combat sans cesse renouvelé dans les stades. Les sigles des marques sportives y ont simplement remplacé les blasons primitifs des chevaliers du temps jadis. Dans ce livre, on traverse l’Europe avec le narrateur, de Madrid à Berlin, à la poursuite d’un improbable hidalgo marseillais. Si Antoine Blondin avait autrefois insufflé une espièglerie littéraire aux pages quotidiennes de L’Équipe, Philippe Bordas en a tiré de quoi replacer le sport au rang des sources sacrées du souffle romanesque.

Avec le roman de Jean Védrines, on bascule dans l’intimité de l’amitié à travers les retrouvailles de deux enfants perdus du Bourbonnais. Voici Paul, l’enseignant qui a cédé aux mirages techniciens après s’être gorgé de mots, et Giovan, l’indompté fils de rouge qui rêvait de révolutions et qui n’a pas totalement cessé de le faire. De Jean Védrines, depuis Château perdu, nous recevons à intervalles réguliers des évocations existentielles hantées par les paysages des pouilles ou les tréfonds d’une France rurale et ouvrière qui s’en va. Il y a, chez l’auteur, cette hantise que trop d’entre nous oublient leur fidélité aux enfants qu’ils furent avant qu’ils reviennent à la maison du père. Il est trop tard pour que Paul et Giovan retrouvent les pas de leurs cavalcades d’antan. Mais derrière la sécheresse de l’hommage officiel à son ami des jours heureux, Giovan saura rallumer les feux encore brûlants d’un passé bien plus vivant que les heures tristes qui lui ont succédé.

Philippe Bordas rêve d’épopée sublime, de gestes inoubliables ; Jean Védrines, en sa Morteparole, se fait le témoin de la chute presque irrésistible de l’homme moderne. Les deux hommes se retrouvent dans cette certitude qu’une parole n’a de sens que si elle est suivie d’actes forts, qu’ils soient sportifs, artistiques ou politiques. Plus que jamais, le langage se doit d’être authentiquement révolutionnaire, à moins de courir le risque de n’être plus qu’un code sans reliefs ni passions.

Jean Védrines, Morteparole, Fayard – 18 €

Philippe Bordas, Chant furieux, « Blanche », Gallimard – 22,90 €

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