À la veille de la trêve de Noël…

parAlbert KALAYDJIAN, chargé de mission au Sénat
22 Décembre 2016
Actualité

Montées populistes, destitutions, surprises électorales, instabilité internationale, l'année 2016 s'achève dans un contexte des plus incertains. L'analyse du théâtre géopolitique par Albert Kalaydjian.

Le Sénat va bientôt observer la trêve de Noël. Pourtant, les événements internationaux vont continuer de produire leurs effets. Dressons un bilan de l’année qui s’achève et jetons un regard sur l’avenir.


2016, L'ANNEE DE TOUS LES SCRUTINS. L'année 2016 a été fatale à plusieurs dirigeants politiques internationaux. En Europe, tout d’abord.

Au Royaume Uni, le Premier Ministre David Cameron paraissait mener un parcours irrésistible. À l'automne 2014, il avait triomphé des dirigeants indépendantistes écossais ; au printemps 2015, il avait terrassé Ed Miliband, son adversaire travailliste, et Nigel Farage, le leader nationaliste ; à la surprise générale, il avait même obtenu une majorité absolue à la Chambre des lords. Mais le 23 juin dernier, le vote du Brexit lui a été fatal. Désavoué par ses concitoyens, le Premier Ministre britannique a dû remettre sa démission à la reine et Theresa May, qui avait su cacher son jeu, est devenue le nouveau chef du gouvernement. Au surplus, le Premier ministre écossais, Nicola Sturgeon, refuse de quitter l'Union européenne et songe à lancer un nouveau référendum sécessionniste.

En Italie, le brillant président du Conseil, Matteo Renzi, avait cru possible de bousculer la Constitution de 1948, née des combats de la Résistance contre le fascisme. Hormis la Toscane et l'Émilie Romagne, le pays tout entier l’a chassé du palais Chigi. Le chef du gouvernement, Paolo Gentiloni, a reçu sa feuille de route des mains du président de la République, Sergio Matarella : faire voter une loi électorale acceptable pour tous, régler le sort de 40 000 Italiens victimes des tremblements de terre et sauver la vénérable Monte Paschi di Sienna, la plus vieille banque du monde, née en 1472, proche de la faillite.

En Moldavie et en Bulgarie des proches de Vladimir Poutine ont été élus à la tête de l'État malgré Bruxelles, Berlin et le pouvoir crépusculaire de Paris.

En Amérique latine, au Brésil, la présidente Dilma Rousseff a été destituée par le Congrès. Victime d'un coup d'État institutionnel, elle a dû quitter la scène politique et céder le pouvoir à son vice-président Eduardo Tenner, aussi impopulaire qu’elle, qui achèvera son mandat le 1er janvier 2019. Aujourd'hui, le Brésil est un pays sans gouvernement qui part à la dérive.

La situation n’est guère meilleure au Venezuela où le président Nicola Maduro a perdu les élections législatives. L'inflation a été de 450 %, le pays producteur de pétrole en est venu à rationner l’essence, les produits alimentaires manquent dans les boutiques, l'électricité est coupée plusieurs heures par jour et la récente mesure de retirer de la circulation monétaire le billet de 100 bolivars a plongé le pays dans une confusion totale.

En Bolivie, un référendum constitutionnel a tourné à la déconfiture du président Evo Morales, élu en 2005 et qui voulait briguer, en 2019, un quatrième mandat. Le pays est d'ailleurs au bord de la guerre civile.

Aux États-Unis, pour la première fois depuis la naissance du pays, un homme a été élu à la présidence des États-Unis sans avoir jamais brigué auparavant un seul mandat. Donald Trump est la surprise de l'année : il a été désigné, le 19 décembre, président des États-Unis par 306 grands électeurs contre 232 à son adversaire Hillary Clinton. Il a remporté 30 États sur 50 et a, pourtant, perdu le vote populaire comme le général Jackson en 1828, Grover Cleveland en 1888 et George Bush en 2000. Il deviendra, le 20 janvier prochain, le 45e président des États-Unis.


DES SCRUTINS INDECIS A VENIR. L'année 2017 risque d'être l’année électorale de tous les dangers. D'abord, aux Pays-Bas où, sondage après sondage, le parti d'extrême droite de Geert Wilders est donné vainqueur des élections législatives de mars prochain. En réalité, le parti nationaliste néerlandais s'inscrit dans un contexte islamophobe qui embrase le pays et dans une posture europhobe partagée avec le parti socialiste néerlandais, à ne pas confondre avec le parti du travail, social-démocrate et membre de l’Internationale socialiste. Le parti socialiste, d’essence marxiste-léniniste, prône avec les nationalistes une sortie de l’Union européenne.

En Allemagne, après l'élection présidentielle de février qui verra l'actuel ministre des Affaires étrangères, Walter Steinmeier, être élu à la tête de l'État, les élections législatives du 24 septembre risquent de mettre en difficulté la chancelière Angela Merkel qui brigue un quatrième mandat. En effet, la coalition CDU-CSU arrivera sûrement en tête, mais elle n'aura plus la majorité absolue car l'Alternative pour l'Allemagne pourrait franchir la barre des 5 %, score qui lui permettra d’être représentée au Bundestag. Il n'est pas question pour la CDU de s'allier avec ce parti, mais les libéraux peuvent revenir à leur tour au Parlement et compliquer la situation car les sociaux-démocrates, les verts et Die Linke se maintiendront sur le plan parlementaire.

Alors la chancelière n'exclut rien, pas même une coalition avec les verts, un inédit sur le plan fédéral même si cela s'est déjà produit à l’échelle régionale. Les sociaux-démocrates doivent se choisir un candidat : le président du parti, Sigmar Gabriel, est sur les rangs, mais Martin Schutz, qui quittera en janvier prochain la présidence du Parlement européen, brigue dans un premier temps le portefeuille des Affaires étrangères si son titulaire devient président fédéral. Il tentera alors d'être le candidat à la chancellerie avec des chances sérieuses de faire un bon résultat. Le Bundestag peut se révéler ingouvernable et le rôle du président fédéral est essentiel : il doit choisir le candidat à l'élection à la chancellerie par le Bundestag et préfigurer ainsi une indispensable coalition.

En Autriche, les élections fédérales du 1er octobre 2017 seront primordiales. L'extrême droite autrichienne arrivera en tête et il faudra une improbable coalition des chrétiens démocrates, des socialistes et des verts pour former une majorité arithmétique et s'entendre sur un contrat de gouvernement.


DES POINTS CHAUDS A TRAVERS LE MONDE. La Syrie, évidemment, est au cœur de toutes les préoccupations. La Russie vient de marquer des points. Alep est tombée aux mains du régime de Bachar al-Assad. La ville était déjà largement contrôlée par l'armée nationale. Seuls les quartiers Est étaient encore aux mains des islamistes proches d'al-Qaida, le reste de la ville vivait presque normalement. En réalité, environ 40 % de la population syrienne soutient encore le régime, Alaouites, chrétiens et Druzes, et 20 % de la population, des Kurdes pour l'essentiel, combat à la fois le régime et les islamistes. Les populations sunnites soutiennent plus ou moins la rébellion, mais souhaitent surtout la fin des bombardements meurtriers et prendre une part plus importante dans le futur gouvernement du pays.

Dans la Turquie voisine, le tournant autoritaire de Erdogan soulève de plus en plus d'hostilité : les attentats se multiplient : attentat à Kayseri, au centre de la Turquie, double explosion à la bombe à Istanbul. L'assassinat, le 19 décembre, de l'ambassadeur de Russie par un policier turc indique que le gouvernement ne tient plus le pays. Le pays risque au surplus d'être délaissé par les touristes.

La Jordanie renoue, elle aussi, avec le terrorisme alors qu'en Irak la bataille de Mossoul se révèle plus indécise que jamais. Un peu plus au sud, au Yémen, la guerre menée par groupes interposés entre l'Iran et l'Arabie saoudite est très sévère. Aden a subi récemment un attentat à la bombe qui a fait 40 morts, sans doute l'œuvre de rebelles proches de l'Iran.

L'Afrique est toujours la proie des conflits. Le tourisme a déserté toute la côte méditerranéenne : en Égypte, où les Frères musulmans ne baissent pas la tête, en Tunisie, où l’insécurité demeure, en Libye, en proie à l'anarchie, les régimes politiques ne sont guère solides.

Dans la corne orientale de l'Afrique, l’instabilité règne : conflits meurtriers au Soudan, régime autocratique de l'Érythrée, Somalie sinistrée, Kenya bousculé. Enfin, en Afrique de l’Ouest, la situation n'est guère enviable. Au Congo démocratique, le mandat de Joseph Kabila vient de s’achever : il ne peut constitutionnellement briguer un nouveau mandat et exerce donc depuis le 19 décembre un pouvoir dictatorial. Dans l'autre Congo, c'est déjà le cas avec Denis Sassou N’Guesso. Au Mali, la situation n'est guère meilleure. Et, en Gambie, le président Yahya Jammeh a été chassé du pouvoir par les urnes, mais rechigne à accepter leur verdict.

Bien sûr, la crise des migrants est devant nous : le dernier Conseil européen a montré les limites de l'épure. L'Espagne a un gouvernement minoritaire et reste affaiblie. L'Italie ne s'est pas remise de son référendum du 4 décembre et la Grande-Bretagne du Brexit. L'Europe centrale et orientale est en rupture de ban avec Bruxelles. Demeure l'épineuse question de la Grèce. Le congrès de l'Internationale de la gauche radicale a porté le communiste réformiste Grégor Gysi à la présidence. L'ex-leader est-allemand a été très clair sur la question européenne : il est en opposition avec la Commission. Surtout, le Premier ministre grec, Alexis Tsipras, y a prononcé un discours d'une extrême violence. Il en a assez, dit-il, de cette Europe capitaliste qui refuse de faire un cadeau de Noël aux Grecs les plus faibles et de baisser la TVA dans les îles.

L’avenir le plus inquiétant est celui de l'euro qui a atteint, ces jours-ci, la parité avec le dollar ou presque. Malgré cette baisse de la monnaie européenne, l'économie ne se relance pas dans l'Union. Pendant ce temps, la France est aux abonnés absents et sans gouvernement d'un point de vue politique. Il suffit de lire la presse étrangère pour s’en convaincre. Mais ceci est une autre histoire.

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