FF 61 - Visuel LE GALL - PANORAMA

Le dictionnaire du sens interdit - Étouffoir

parAndré LE GALL, écrivain

Articles de la revue France Forum

ÉTOUFFOIR (LOIS DE L') (SUITE)

Voilà, c’est fait ! La passion contemporaine pour la servitude de l’esprit a pu s’exprimer noblement à l’Assemblée nationale au cours de la deuxième séance du 1er juillet 2016. L’injonction adressée aux États membres, le 28 novembre 2008, par le Conseil de l’Union européenne, d’avoir à édicter des lois pénales réprimant « la négation ou la banalisation grossière publiques des crimes de génocide, des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre » a trouvé sa traduction dans un amendement gouvernemental au projet de loi Égalité et Citoyenneté. Se trouvent ainsi pénalisées, non seulement la négation, mais encore la minoration ou la banalisation de « façon outrancière » de ces crimes. Le champ d’application a été étendu à l’esclavage. Dans un grand élan d’émotion collective, on a évoqué le génocide arménien. Et, de fait, s’il y a bien un génocide dont on a les preuves, c’est celui-là. Les surabondantes archives de l’Empire allemand conservées à Berlin témoignent implacablement de l’incroyable cruauté du sort réservé aux Arméniens et aux Assyro-Chaldéens dans l’Empire ottoman à partir de 1915. Mais que les faits soient établis, c’est une chose ; qu’il faille faire de leur négation, de leur banalisation, de leur minoration, un délit, c’est autre chose. Va-t-on faire un délit de la négation, de la banalisation, de la minoration du génocide vendéen dont on a cependant toutes les raisons de penser qu’il fut délibérément prémédité dans la seconde moitié de 1793 et largement engagé dans la première moitié de 1794 ? La liberté d’expression n’est rien si sa limite n’est pas d’abord dans la conscience de celui qui s’exprime. Et c’est pourquoi la libre expression de l’un ne peut être qu’une douleur pour l’autre. Faire taire la voix qui le tourmente, c’est la tentation de celui qui ne supporte pas cette douleur. D’où ces lois qui se succèdent et qui mettent la science historique dans le giron du juge. Aucun travail de recherche un peu approfondi, aucun essai d’explication, qui n’expose celui qui s’y livre à des poursuites pour banalisation ou pour minoration de la part des lobbys spécialisés. Une fois de plus se vérifie l’aphorisme de Michel Foucault selon lequel l’angoisse prend sans fin pour remède ce qui la porte à son comble. Quand les arrière-arrière-petits-enfants des derniers témoins auront disparu, quand les décennies auront passé et que l’on abordera les rives du XXIIe siècle, que restera-t-il de ces vérités historiques légalement protégées ? Le scénario est écrit d’avance. on oubliera les faits si assurés qu’ils soient, on ne retiendra que la protection légale. Et comme aucune recherche historique sérieuse ne peut s’opérer durablement à l’ombre de la loi non plus que de l’autorité de la chose jugée, il ne manquera pas de s’élever autour du récit officiel une immense suspicion. Les lois répressives qui prétendaient préserver la mémoire des victimes n’auront fait que préparer son anéantissement. D’autant que, hors d’Europe, subsisteront de nombreux États où ne s’appliqueront pas les lois de l’étouffoir en vigueur sur le continent qui avait inventé l’habeas corpus et la liberté d’expression. Rappelons, pour mémoire, l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme du 26 août 1789 : « Tout citoyen peut […] parler, écrire, imprimer librement. » Et son symétrique magistériel tel qu’il figure dans l’encyclique Pacem in terris (1963) : « Tout être humain a droit […] à la liberté dans la recherche de la vérité, dans l’expression et la diffusion de la pensée […], les exigences de l’ordre moral et du bien commun étant sauvegardées. »

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