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Le genre en héritage

parNicolas VIEL, musicologue

Articles de la revue France Forum

En musique comme ailleurs, les héritages mobilisent d’autant plus les foules que les enjeux sont financièrement importants.

Ils peuvent être profitables dans l’immédiat ou bien se transformer, à court, moyen ou long terme, en source d’abondants revenus. Les avocats et les journalistes touchent les premiers les royalties de ces affaires potentiellement juteuses, négociées à grand spectacle sous l’œil médusé des fans. Mais il est d’autres héritages, autrement plus encombrants, que les musiciens nous laissent à travers leurs usages. Milieu souvent structuré par un conservatisme à toute épreuve, le monde de la musique dite classique traîne avec elle de nombreux archaïsmes que peu d’héritiers, hélas, cherchent à remettre en cause.

Une étude toute récente de la revue en ligne Quartz at Work1 passe au crible les effectifs des vingt-deux meilleurs orchestres mondiaux sous l’angle de la répartition entre hommes et femmes. Les résultats confirment tristement ce que l’on peut imaginer.

Comme on peut s’y attendre, il y a beaucoup plus de harpistes femmes (94 %) que d’hommes. L’image moyenâgeuse et stéréotypée de la harpiste frêle, élancée aux cheveux longs fait encore des ravages. Dans le même ordre d’idée, on ne trouve aucune femme parmi les trombonistes et les tubistes. Les gros cuivres sont, semble-t-il, une affaire d’homme. La faute de ce partage absurde revient, bien sûr, à l’entourage – parental, enseignant, culturel – de l’enfant au moment où il choisit son instrument.

La métaphore qui associe au féminin les sons aigus et au masculin les sons graves se file aussi du côté des cordes frottées. Un peu plus de la moitié des violonistes sont des femmes. Cette proportion tombe à un peu plus d’un tiers pour les altos et à seulement un quart pour les violoncelles. Quant aux contrebasses, l’effectif féminin dégringole à 5 % !

Quoi qu’il en soit, plus généralement, les effectifs des orchestres observés, soit près de 2 500 personnes, sont très majoritairement masculins (69 %). Les rédacteurs de l’article se sont amusés à dénombrer – sans grande difficulté – les femmes de l’orchestre philharmonique de vienne : elles n’étaient que deux sur la scène du traditionnel concert du nouvel an ! À la périphérie, les auteurs de l’étude remarquent que les deux orchestres où la disparité homme/femme est la moins criante sont le New York Philharmonic et l’orchestre du théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg.

Comme on l’imagine, les maux qui touchent la société se calquent sur l’orchestre. Dans chaque pupitre de musiciens jouant du même instrument, les chefs ou chefs adjoints de pupitre (premier violon, première flûte, etc.) sont encore plus majoritairement des hommes. Les 31 % de femmes musiciennes d’orchestre ne sont plus que 15 % lorsqu’il s’agit de diriger un pupitre et donc d’accéder à un meilleur salaire et à de plus grandes responsabilités.

Ainsi, comme dans toutes les affaires d’héritage, le poids de l’histoire ou de la tradition a bon dos. C’est surtout une affaire d’argent que le paternalisme semble régler à bon compte.


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1. « Here’s what the Stark Gender Disparity Among top orchestra Musicians Looks Like », 16 octobre 2018. https://qz.com/work/1393078/orchestras/

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