© Communauté européenne - Jean Monnet et Robert Schuman, deux des pères fondateurs de l’Europe.

Le rêve européen est-il éteint ?

parNicole FONTAINE, avocate, ancienne présidente du Parlement européen, ancien ministre

Articles de la revue France Forum

Nous rallumerons toutes les étoiles du ciel européen…

La déclaration, à jamais historique, de Robert Schuman, le 9 mai 1950, appelant à construire une Europe unie, avait, sur le moment, tout d’une utopie alors que les haines et les horreurs d’une guerre jamais égalée venaient tout juste de s’éteindre.

Et pourtant, hormis quelques voix communistes fantasmant sur une intention agressive contre l’Union soviétique, cette déclaration fut accueillie de manière positive presque unanimement. Si elle commença à devenir réalité moins d’un an plus tard avec la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), c’est parce qu’elle répondait à un rêve collectif : la réconciliation éternelle des peuples européens qui n’avaient cessé de se livrer à des guerres fratricides pendant plus de mille ans ; faire du continent européen un espace de paix, de liberté, de prospérité, au moment où les états-unis s’affirmaient comme la première puissance du monde. Ce rêve était aussi celui de construire une Europe qui protège dans un monde que l’on redécouvrait dangereux, sur fond de guerre froide. L’utopie d’unir l’Europe était devenue la seule perspective réaliste si on ne voulait « plus jamais ça ».

Dès le 25 mars 1957, le traité de Rome crée la Communauté économique européenne (CEE), sur le socle de quatre libertés fondamentales : libre circulation des personnes, des capitaux, des biens et des services. Ont rapidement suivi la mise en place de la politique agricole commune (PAC), qui a sauvé l’agriculture européenne tout en permettant sa modernisation, et celle des fonds structurels pour réduire les inégalités économiques entre les régions. L’Europe enthousiasme.

Trois décennies après le traité de Rome, la donne commence à changer imperceptiblement. La paix européenne est perçue comme naturelle et acquise pour toujours par une jeunesse qui n’a pas vécu les horreurs passées. Mais surtout, la vitalité technologique, industrielle et agricole des nouveaux pays émergents extra-européens vient bousculer les protections internes que l’Europe s’était données.


SURMONTER LA CRISE EXISTENTIELLE. Il devient alors évident que, sans un grand marché intérieur unifié, l’économie européenne, potentiellement capable d’être la plus grande du monde avec ses 400 millions de consommateurs de l’époque, serait non compétitive et inéluctablement vouée au déclin.

C’est alors que l’Acte unique de 1986 engage le plein accomplissement du grand marché intérieur. Six années et quelque trois cents directives seront nécessaires pour l’harmonisation des législations nationales et des normes. ​Toutefois, comme le disait Jacques Delors, « on ne tombe pas amoureux d’un marché ».

Les bienfaits dont on avait rêvé et profité se font contraintes, vite ressenties comme intolérables. Le carrosse devient citrouille. Puis sont venus l’élargissement de l’Union à l’Est, aux conséquences insuffisamment anticipées, et la mondialisation explosive des échanges économiques, avec son lot de délocalisations dévastatrices, ses crises financières, son chômage de masse et ses politiques palliatives de rigueur, le tout dans un contexte de croissance en berne et de crises migratoires, ébranlant, ici et là, les valeurs humanistes, pourtant fondatrices de l’Union.

Aujourd’hui, un constat s’impose : depuis une dizaine d’années, pour une large partie des Européens, les institutions européennes se sont montrées incapables de relever ces défis, de peser sur les guerres qui se déploient à leurs portes, d’éradiquer le terrorisme islamiste. Les citoyens européens estiment que l’Europe unie n’assure plus sa mission protectrice. Beaucoup n’en attendent plus rien.

Insensiblement, le rêve initial a laissé place à la déception, puis la déception au doute, à l’indifférence, voire au rejet, avec le risque d’une dislocation, comme le montre le Brexit, expression la plus significative d’une crise devenue existentielle.

Faut-il pour autant désespérer de l’Europe ? Non, si l’on veut bien se rappeler ce que Jean Monnet a écrit prophétiquement dans ses Mémoires : « L’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises. »


LA JEUNESSE, FORCE VIVE D’UN NOUVEAU CONTRAT EUROPÉEN. Déjà, se dessine un sursaut et ce, dans tous les pays européens. Le Brexit, dont le vote a été largement emporté par des peurs artificiellement exacerbées et des mensonges démagogiques – ce dont de plus en plus de Britanniques sont en train de prendre conscience –, n’y est pas étranger et peut même devenir une chance.

Mais ce serait une illusion de croire qu’il suffira de gérer un peu mieux l’Union européenne pour reconquérir l’adhésion de ses peuples, aujourd’hui très dégradée. Même si ses gestionnaires gardent évidemment une place essentielle, ce qui manque le plus à l’Europe, c’est un nouveau projet capable de réunir et de mobiliser ses 500 millions de citoyens sur les grandes causes du monde d’aujourd’hui et de demain, qui n’est plus celui des lendemains du dernier conflit mondial. Cela sera possible à la condition de sortir des vœux pieux et d’y consacrer la volonté et les moyens adaptés aux enjeux.

La protection de l’environnement, dont la conscientisation est devenue planétaire, en est une, tout comme le risque – qui reste permanent – des guerres, sporadiques, endémiques, voire globales.

D’autres causes sont aussi à explorer. Ainsi, la plus grande menace, largement sous-estimée, qui pèse sur l’avenir du monde, est dans l’aggravation du fossé entre les régions du monde qui vivent dans une abondance relative et celles qui continuent de s’enfoncer dans la pauvreté, la faim, les maladies, les guerres civiles, l’absence d’éducation. Dans quelques décennies, l’Afrique comptera pour près de la moitié de la population mondiale. Qui s’en soucie vraiment, à hauteur du défi ?

Soyons-en convaincus, c’est sur la jeunesse, celle qui sait se révolter contre l’inacceptable, croire aux utopies et être généreuse, qu’il faut s’appuyer pour reconstruire un rêve européen capable de mobiliser l’ensemble du continent sur un nouvel idéal.

La solidarité de demain ne pourra plus être seulement européenne, elle devra être universelle, y compris dans l’intérêt même de l’europe. Tant que ce fossé inégalitaire continuera de se creuser, multiplier les bateaux dans la Méditerranée pour faire refluer les migrants fuyant l’Afrique dans des conditions épouvantables ne suffira pas à les contenir.

Il faut à l’Europe un nouveau contrat, fondé sur la lucidité prospective et la générosité. C’est la seule voie pour restaurer le rêve européen que les fondateurs de l’Europe des années d’après-guerre ont su, en leur temps, vouloir et faire aboutir. C’est parce que c’était utopique qu’ils l’ont tenté. À nous maintenant !

 

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