NOTE DE LECTURE - PANORAMA

Mario Vargas Llosa, du Nobel à la Pléiade

parMarie-Madeleine GLADIEU

Articles de la revue France Forum

Pérou et France, alchimie littéraire.

Invité à plusieurs reprises à « Apostrophes », émission animée par Bernard Pivot, l’écrivain péruvien Mario Vargas Llosa est l’un des rénovateurs du genre romanesque au XXe siècle. Journaliste à 16 ans, chargé d’abord de la section des faits divers, puis des chroniques cinématographiques, il s’initie à l’écriture dans le journal La Crónica où il apprend comment toucher le coeur, comme le dira plus tard un de ses personnages, sans passer par l’intelligence. Enfant, il aimait à inventer une suite aux aventures de ses héros ; des poèmes suivront, puis une pièce de théâtre, des nouvelles, des chroniques littéraires et des romans. Il se plaît à répéter qu’il est devenu écrivain à Paris, où il arrive en 1959 ; un an plus tôt, lauréat d’un prix pour l’une de ses nouvelles, il avait gagné un séjour dans la capitale française, devenue depuis lors objet de fascination.

Le Pérou, il est vrai, est traditionnellement francophile : plusieurs de ses écrivains (le poète César Moro à l’époque surréaliste, le romancier Ventura García Calderón au début du XXe siècle) ont écrit en français une partie de leurs oeuvres et toute personne cultivée se devait de connaître le français et la culture de notre pays. Lima n’a-telle pas une place Francia, avec une église rappelant celles de notre début du XXe siècle, une place Bolognesi aux immeubles de pur style haussmannien, un collège Champagnat ? Le premier contact de Mario Vargas Llosa avec la culture française est la lecture des romans de Victor Hugo, de Alexandre Dumas père et fils. Plus tard, le jeune écrivain finance ses études universitaires en occupant un emploi de bibliothécaire au Club Nacional où il découvre les romans érotiques français du XVIIIe au XXe siècle, en même temps que ceux de Sartre, de Flaubert et de l’âge d’or du roman, Malraux et Camus. Vargas Llosa reste profondément marqué par notre littérature. Ajoutons que, dans la revue Literatura qu’il crée à 20 ans avec quelques amis, il traduit des poèmes de Desnos et, en 1960, Un coeur dans une soutane de Rimbaud.

Mario Vargas Llosa affirme que, si les thèmes de ses romans lui sont imposés par des obsessions qu’après Faulkner il désigne sous le nom de « démons », il est le seul responsable du style, des techniques d’écriture grâce auxquelles il va exprimer sa critique, voire son désaccord, avec la société et sa manière de mettre en oeuvre les valeurs sur lesquelles elle prétend se fonder. Le romancier est un rebelle et l’écriture littéraire se situe toujours du côté du mal, telle est la vision première que, dans les années 1960, Vargas Llosa donne de son art, suivant les réflexions de Georges Bataille, de Jean- Paul Sartre et de Albert Camus. Mais si nous en croyons Victor Hugo – le poète n’a-t-il pas toujours raison ? –, l’ange rebelle laissa au bord de l’abîme une de ses plumes, immaculée, vibrante, qui donna naissance à l’ange Liberté capable de le sauver. Liberté, tel est le nom que Vargas Llosa donne, en 1987, au mouvement qu’il fonde pour rendre aux Péruviens, au milieu d’une crise sans précédent, dans un pays blessé par le terrorisme et ses conséquences, l’espoir d’une vie meilleure et la foi en la politique.

L’oeuvre de Mario Vargas Llosa s’est vue récompensée par les prix les plus prestigieux, notamment le Nobel en 2010, salué par ses lecteurs et admirateurs du monde entier. Car la majeure partie de cette oeuvre a été traduite dans presque toutes les langues. Elle a été très vite traduite en français, son traducteur attitré depuis 1970 étant Albert Bensoussan. Elle est publiée chez Gallimard. Elle vient de paraître dans la collection de « La Pléiade », corrigée et présentée par Stéphane Michaud. Le plus français des écrivains d’Amérique latine, même si l’espagnol est la langue dans laquelle son oeuvre a été élaborée, mérite vraiment cet honneur et honore cette prestigieuse collection par sa présence. Francophile depuis toujours et devenu francophone, docteur honoris causa d’universités françaises (Paris-Sorbonne, Pau, Reims, Rennes, par ordre alphabétique) et d’une cinquantaine d’universités dans le monde, l’auteur de La Ville et les Chiens – des phrases de Sartre et de Nizan y sont mises en exergue –, de La Tante Julia et le Scribouillard – réflexion flaubertienne sur l’écriture –, de La Guerre de la fin du monde – roman hugolien –, de Les cahiers de Don Rigoberto – roman érotique finiséculaire qui rappelle ceux du tout début du XXe siècle européen –, incarne l’homme-plume qui transforme la vie en texte littéraire. Comme l’écriture romanesque est susceptible d’englober toutes les expériences de la vie – et Vargas Llosa employait l’expression de « roman total » –, elle laisse transparaître les influences les plus diverses. Écrire est une activité d’alchimiste qui, à force de travail, parvient à extraire l’or de la gangue. Mario Vargas Llosa est un alchimiste de la langue qui figure désormais au côté d’un autre alchimiste, José Luis Borges, dans la collection de « La Pléiade », pour notre plus grand plaisir. 

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