FF 62 - Visuel article VIEL - PANORAMA

Musique : l'interprétation créatrice

parNicolas VIEL, musicologue

Articles de la revue France Forum

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Autant le dire sans détour : je n’aime pas beaucoup les interprètes. En musique comme ailleurs, ils pavanent, s’affichent, se montrent sous leur meilleur jour pour nous confier leurs impressions sur une oeuvre. Certains reproduisent fidèlement les canons d’une tradition fermement établie, mais déjà pâlichonne, héritée du compositeur par un lignage direct mais lointain. D’autres revisitent, parfois avec brio, les grands classiques. Écornant au passage les codes établis, ces exégètes essaient de refaire du neuf avec du vieux, mais se contentent de faire entendre leur subjectivité. Le goût évolue, ils évoluent avec lui. Ils suivent l’air du temps à leur corps défendant et témoignent, sans le vouloir, de l’époque qui les encapsule inexorablement.

Pour toute la musique antérieure à l’invention de l’enregistrement, les interprètes pensent traduire en termes actuels une vérité musicale que tout le monde ignore en réalité. Parfois même, ils s’investissent d’une mission musicologique en proposant au public des oeuvres jouées comme jadis sur des instruments anciens, mais l’exercice n’échappe ni aux modes ni aux limites de l’érudition.

Enfin, dans un monde financiarisé où le musicien doit affronter chaque jour davantage les privations que lui inflige le partage mondialisé des media, le concert traditionnel devient de plus en plus l’apanage des seuls festivals. Les charges liées à la production de tels événements devenant toujours plus lourdes (location de salles, charges sociales, droits d’auteur, etc.), les mécènes susceptibles de les financer toujours plus rares, les organisateurs prennent de moins en moins de risque dans la programmation. Combien de jeunes compositeurs sont-ils joués pour une dizaine de Requiem de Mozart ?

C’est pourquoi la démarche originale de la pianiste Thérèse Malengreau doit être saluée à sa juste valeur. Musicienne hors pair, elle construit chacun de ses concerts, chacun de ses disques autour d’une idée, d’un concept, d’un moment susceptible de retenir l’attention d’un public large, mais exigeant. Après plusieurs disques remarqués, dont l’un vient d’être consacré au compositeur André Riotte, Météorite et ses métamorphoses, son dernier enregistrement rassemble des cycles de pièces de Franz Liszt, de Béla Bartók et de George Crumb autour du thème de Noël. Spécialiste de l’histoire des arts, elle donne à chacune de ses propositions un caractère pluridisciplinaire, en lien avec l’histoire (« 14-18, Ombre et conscience à l’aube d’un monde nouveau »), la peinture (Kokoschka, Ensor), la sculpture (Camille Claudel) ou la littérature (Maeterlinck, « Tchaïkovsky et Pouchkine »). Parfois aussi, elle explore un courant esthétique (orientalisme, art nouveau) ou même un concept (Silent/listen, Loss of control). Cas tout à fait unique dans la programmation actuelle, Thérèse Malengreau donne au programme de récital l’identité d’un authentique parcours, d’une démarche qui soit à la fois intellectuelle et directement perceptible par l’auditeur. À découvrir absolument.  

Pour en savoir plus : www.theresemalengreau.com 

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