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Pastorale héroïque

parNicolas VIEL, musicologue

Articles de la revue France Forum

Les célébrités musicales françaises qui pensent que leurs succès les autorisent à mettre à sac un terminal d’aéroport ont pu réfléchir, pendant leur détention provisoire, à ce que l’avenir a réservé à certains de leurs aînés plus célèbres encore.

Ainsi, l’Opéra de Paris et l’Opéra royal de Versailles ont voulu, chacun à sa façon, rappeler à nos mémoires les compositeurs à qui la gloire n’a réservé que de trop éphémères lauriers.

Jakob Liebmann Beer, dit Giacomo Meyerbeer, jouit à son époque d’une gloire inouïe. Pianiste surdoué et compositeur précoce, il fut très tôt formé par le même professeur que Carl Maria von Weber à l’art de la musique de scène. Il s’installe à Paris à 34 ans avec derrière lui une brillante carrière italienne. Son premier opéra parisien, Robert le Diable, en 1831, est un triomphe inédit dans la capitale et pose les bases d’un genre nouveau : le grand opéra.

Suivent deux autres œuvres du même moule : Les Huguenots, en 1836, et Le Prophète, en 1849. C’est le deuxième de ces trois monuments que l’Opéra de Paris1 a offert au public, familier des « dioutifris » ou non. Les Huguenots sont le récit des événements du 24 août 1572, appelés aussi massacre de la Saint-Barthélemy, à travers l’histoire d’amour fictive entre Raoul de Nangis, protestant bon teint, et Valentine, dame de compagnie de la très catholique Marguerite de Valois. En ces temps de crispation religieuse et identitaire, la mise en scène engagée de Andreas Kriegenburg a été d’une grande efficacité.

L’Opéra royal de Versailles2 a choisi, de son côté, de proposer le premier opéra d’un compositeur hélas peu joué : Issé de André Cardinal dit Destouches. À 20 ans, participant au siège de Namur en 1692, il découvre son talent musical au cours des longues journées d’attente qu’engendre le blocus d’une ville. Au moins, la musique n’y perdit pas : la ville fut reprise trois ans plus tard par ceux-là mêmes qui en avaient été chassés. Le nouveau musicien quitte les Mousquetaires du Roi quatre ans après sa découverte et fait jouer Issé le 17 décembre de l’année suivante au Trianon. Louis XIV est si satisfait de sa musique qu’il déclare l’avoir appréciée autant que celle de feu Jean-Baptiste Lully et lui remet sur-le-champ une bourse de 200 louis. L’œuvre révisée est redonnée à Paris au théâtre du Palais-Royal en 1708 et reste au répertoire jusqu’en 1757. Il s’agit d’une « pastorale héroïque », une spécialité de l’époque dont l’émouvante Judith van Wanroij a su tirer le meilleur dans le rôle-titre.

Certes, il est heureux de pouvoir aujourd’hui redécouvrir ce qui a pu, à ces époques distantes, susciter un tel intérêt auprès du public. Mais heureusement, l’Histoire s’est arrêtée et les petits-enfants de nos petits-enfants échapperont au moins à la douloureuse expérience de se souvenir de ce qu’écoutaient leurs ancêtres pendant leurs gardes à vue.


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1. Du 25 septembre au 24 octobre 2018.
2. Samedi 13 octobre 2018.

Musique
France