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Permanence de la littérature bretonne

parJérôme BESNARD, essayiste, chargé d’enseignement à l’université Paris Cité

Articles de la revue France Forum

Il existe une littérature bretonne de langue française, comme il existe une littérature provençale, belge ou québécoise de langue française.

Au XXe siècle, elle a pu s’illustrer par des auteurs aussi divers que Charles Le Quintrec, Michel Mohrt, Guillevic, Michel Le Bris... Certaines parutions du début de l’année 2018 témoignent de cette permanence. Tout d’abord, comment ne pas s’arrêter sur la réédition de l’un des plus beaux textes du journaliste et poète Xavier Grall (1930-1981), L’Inconnu me dévore. C’est une lettre posthume adressée à ses cinq filles, un cri d’amour et une méditation religieuse : « Comme l’écrivain Jack Kerouac, que j’aime tant, je suis un catholique solitaire, mystique et fou. » Parmi ses maîtres en révolte, Grall invoque volontiers « les farouches Bloy et Bernanos prosateurs du lointain et doux royaume ». Dans sa préface, le jeune romancier Pierre Adrian écrit : « Xavier Grall est une sentinelle sur le granit de Bretagne. Il prévient des grandes marées. L’Inconnu me dévore supporte le mauvais vent de noroît. Il est un de ces livres qu’on ne laisse jamais s’éloigner. »

De par son goût pour la lumière des Flandres et pour la poésie de Saint-Pol-Roux, Xavier Grall a évidemment marqué le romancier Philippe Le Guillou. Né en 1959, lauréat du prix Médicis en 1997 pour Les sept noms du peintre, il poursuit, depuis trente ans, à côté d’une brillante carrière d’inspecteur général de l’Éducation nationale, une oeuvre riche et singulière qui doit beaucoup à sa région natale. Son dernier roman, La Route de la mer, nous promène de la presqu’île finistérienne de Crozon jusqu’au Havre où le narrateur, jeune enseignant, est nommé en début de carrière, saluant « la belle lumière du pays de Caux, cette lumière aveuglante, mate comme les falaises de craie ». Ce roman, c’est celui de la relation entre la pianiste Anna Tugdual, passionnée par l’œuvre musicale de Franz Liszt, et son frère, ce narrateur devenu artiste, photographe et sculpteur. Anna a épousé un énarque, Stéphane Horberer, vite absorbé par la politique, mais qui fut auparavant le grand ami de lycée de son frère. Ils auront un fils, « enfant de parents toujours absents ». Après avoir arpenté le monde pour donner des concerts, elle mourra prématurément d’un cancer, malgré dix ans de traitement. Comme souvent chez Philippe Le Guillou, on se retrouve en présence d’une géographie sentimentale très convaincante, de Londres à Rome en passant par Paris, villes de la fin du XXe siècle où se meuvent des personnages suspendus « au bord de la fosse du temps ».

Nostalgie, sens aigu de la chute originelle de l’homme, espérance dans les forces de l’Esprit, voilà quelques traits caractéristiques de la littérature bretonne telle qu’on a plaisir à la retrouver dans les pages respectives de Grall et Le Guillou, auteurs propres à nous renvoyer des échos du monde d’avant, celui où il était moins difficile de « vivre en poésie », pour reprendre l’expression préférée de Guillevic.

Xavier Grall, L’Inconnu me dévore,
Equateurs, 2018 – 13 €

Philippe Le Guillou, La Route de la mer,
Gallimard, 2018 – 22 € 

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