NOTE DE LECTURE - PANORAMA

Repenser la pauvreté, de Esther Duflo et de Abhijit V. Banerjee

parMarc FOUCAULT, président du comité de rédaction de ​France Forum

Articles de la revue France Forum

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La bonne surprise de ce livre important est d’abord sa capacité à être lu aisément par chacun bien qu’il soit écrit par deux économistes très réputés du MIT, dont la jeune française Ester Duflo, première titulaire de la chaire « Savoirs contre pauvreté » au Collège de France. Ni graphique, ou à peine, ni formule mathématique, mais plus simplement la vie de Pak Sudarno, le ramasseur d’ordures indonésien, ou celle de Shantarama, la mère de famille indienne. Cette approche très concrète n’est pas dictée par un souci de vulgarisation a posteriori, mais par la posture économique des auteurs : consulter les pauvres eux-mêmes (« savoir ce qu’ils pensent, ce qu’ils veulent et ce qu’ils font ») pour apprendre de leurs itinéraires et de leurs pratiques comment combattre la pauvreté à l’échelle mondiale.

Plusieurs conclusions émergent de ces quinze années de rencontres et de dialogues avec ceux qui vivent avec moins d’un dollar par jour, mais aussi des nombreuses études utilisées par les auteurs. D’abord, il n’existe pas de solution miracle. Ce qui marche ici, comme les « programmes de transferts sociaux conditionnels », ne marchera pas forcément là-bas. Ensuite, un seul levier est souvent insuffisant. Les limites de la microfinance en témoignent malgré ses spectaculaires réussites (elle améliore la vie quotidienne, mais ne la transforme pas radicalement, étant donné des modalités rigides de mise en oeuvre dans le cas, par exemple, d’une création d’entreprise).

Enfin, et c’est bien sûr le plus important, le livre de Esther Duflo et de Abhijit V. Banerjee nous apprend que faire reculer la pauvreté est possible à condition de pragmatisme dans l’approche des problèmes (inciter à la pose de moustiquaires en contrepartie d’un don de nourriture, par exemple), d’évaluation régulière des programmes d’aide publique ou privée de sorte à les modifier ou à les compléter à temps, de persévérance dans l’action.

Plusieurs thèmes sont abordés dans le livre – la faim, la santé, la famille, l’épargne, l’éducation – et, chaque fois, les questions affluent. La famille nombreuse nuit-elle à la prospérité d’un pays et de ses habitants ? Les programmes massifs de construction d’écoles sont-ils décisifs pour l’accès à l’éducation ? Les réseaux de solidarité traditionnelle peuvent- ils protéger de tout et notamment des risques de santé ? L’intérêt de ce livre est aussi, même si ce n’est pas son objectif principal, d’interroger nos propres économies, l’efficacité de nos protections sociales, la pertinence de nos politiques publiques (pour l’éducation, par exemple). 


Seuil, « Les livres du nouveau monde », 2012 – 24,30 €

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