NOTE DE LECTURE - PANORAMA

Un « Juste » nommé Sousa Mendes

parJérôme BESNARD, essayiste, chargé d’enseignement à l’université Paris Cité

Articles de la revue France Forum

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C'est l’historien François-Marin Fleutot qui, le premier, me fit découvrir la belle figure de Aristides de Sousa Mendes (1885-1954), diplomate portugais en poste à Bordeaux à l’aube du funeste printemps 1940. Monarchiste, de vieille souche aristocratique, Sousa Mendes avait été nommé consul général du Portugal dans la capitale de l’aquitaine par l’Estado Novo de l’autoritaire docteur Salazar.

Le romancier Salim Bachi vient de lui consacrer un roman, Le Consul, qui rend un bel hommage à cette figure oubliée qui sauva de nombreux juifs en délivrant des milliers de visas, désobéissant ainsi aux ordres reçus de Lisbonne. Il devait payer cher cet élan de charité et mourir dans la misère.

Né dans un village du nord du Portugal, il avait eu douze enfants de sa première épouse. Englué dans de constants soucis d’argent, sa carrière diplomatique avait été quelque peu chaotique, de Zanzibar à Louvain, en passant par San Francisco. Il s’était même entiché d’une maîtresse française, Andrée, à qui il se confie tout au long du livre de Salim Bachi.

Comme en 1870 et 1914, Bordeaux devint, en 1940, le refuge du gouvernement et du Parlement français fuyant l’avance allemande. Lebrun et Reynaud étaient en train de perdre la partie face à Pétain et Laval. le maire de la ville, le radical-socialiste adrien Marquet, intriguait au service de ce dernier. Pendant ce temps-là, des réfugiés de toute l’Europe, dont de nombreux juifs, s’entassaient sur les rives de la Garonne. Ils savaient leur existence menacée. Ils faisaient le siège des consulats étrangers afin d’obtenir qui un passeport, qui un visa. Pour eux, le temps pressait d’arriver à franchir la frontière espagnole. Pris de pitié pour ces pauvres hères, Sousa Mendes se décida à enfreindre les ordres très restrictifs et à délivrer sans compter les documents salvateurs. On estime à 30 000, dont 10 000 juifs, les bénéficiaires de ses largesses diplomatiques qu’il exerça les 21 et 22 juin au consulat de Bayonne. le 23, un télégramme le relevait de ses fonctions. Sans pour autant le jeter en prison, ni l’exclure de la diplomatie portugaise, Salazar s’arrangea pour le réduire à l’état de nécessiteux. Israël l’a déclaré « Juste parmi les nations », en 1966, et le Portugal l’a depuis réhabilité, en 1986. Gageons que l’approche romancée de son existence tourmentée le fasse aussi mieux connaître des Français.

Aristides de Sousa Mendes n’a pas sauvé que des juifs. Grâce à lui purent s’enfuir l’archiduc Otto de Hasbourg (1912-2011), fils aîné de l’ancien empereur d’autriche, qui devait devenir après-guerre un ardent militant de la construction européenne, ou la grande-duchesse régnante Charlotte de Luxembourg (1896-1985). L’action désintéressée de Sousa Mendes incarne de belle façon la réaction instinctive de la vieille Europe face aux démons totalitaires déchaînés par l’Allemagne nazie.

Salim Balchi, Le Consul, « Blanche », Gallimard, 2015 – 17,50 € 

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