NOTE DE LECTURE - PANORAMA

Voyage en France

parJérôme BESNARD, essayiste, chargé d’enseignement à l’université Paris Cité

Articles de la revue France Forum

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Cela commence comme un récit du regretté José Cabanis, dans une belle maison de famille du Sud-Ouest. N’attendez pas pour autant chez Solange Bied-Charreton une méditation intime sur les âges de la vie et la mémoire des lieux. La romancière des Visages pâles n’en est pas à son coup d’essai et s’accomplit pleinement avec cette comédie humaine de la bourgeoisie de notre temps qui doit autant à François Taillandier pour la précision sociologique qu’à Philippe Muray pour l’ironie mordante. La chronique de la vie atterrante des héritiers des brosseries Estienne n’épargne ni la « Manif pour tous », chère à la mère et au fils battant le pavé parisien en cette année 2013, ni le nihilisme qui sied au reste de la famille ralliée au confort et aux angoisses du néo-libéralisme. On est loin de la fresque provinciale, mais bien dans la satire sociale qui vise juste et atteint sa cible. Il y a quelque chose de pourri au royaume de France, nous prévient Solange Bied-Charreton comme dans un écho à l’auteur des Enfants tristes, qu’elle a lu et aimé, lorsqu’il écrivait, en 1951 : « Quant aux anciens ordres humains, la Monarchie, l’Armée, la Littérature, le dévouement pas plus que le génie ne les empêchent de tomber en morceaux. Tout le passé de la France est là dans un miroir brisé. » Ce réalisme saisissant s’éclaire d’une écriture féminine qui évite au lecteur une sensation d’amertume trop prononcée. On est assurément en présence du meilleur roman de la rentrée littéraire.

La thérapie collective remédiant au constat cruel dressé par Solange Bied-Charreton, il faut peut-être la chercher chez Olivier Maulin, ce successeur de Jacques Perret, qui nous entraîne, cette fois, à bord d’un camping-car grand luxe conduit sur les routes alsaciennes, celles qui escaladent les hautes vallées des Vosges, par des apprentis vigiles semeurs ambulants de catastrophes diverses et variées. Chez Maulin, c’est l’éternel retour de la lutte de Jacques Bonhomme contre la maréchaussée. C’est la jacquerie des petits et des sans-grades contre la machinerie étatique ; c’est la révolte ludique et guerrière des provinces françaises contre le Machin. Avec Olivier Maulin, La fête est finie et vous ne regarderez plus une ZAD (zone à défendre) comme avant, capable qu’il est de réinventer Notre- Dame-des-Landes à la sauce anarchiste de droite. Il y a, chez lui, cette verve rabelaisienne chère à Henri Béraud, tendance Bois du Templier pendu. Cela sent bon le houblon et le fourrage. C’est un conte du pays réel qu’il faut savourer sans avoir peur de ces grands éclats de rire qu’affectionnaient nos ancêtres les gaulois. On ne se lasse pas de Olivier Maulin : il nous ouvre le champ des possibles que l’actualité s’évertue pourtant à nous faire croire disparu pour longtemps de l’horizon français.


Solange Bied-Charreton, Les visages pâles, « La Bleue », Stock, 2016, 20,50 €

Olivier Maulin, La fête est finie, « Romans français », Denoël, 2016, 18,90 €

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