Sociétés du savoir : partage ou partition ?

France Forum, hors-série, avril 2017

Revue France Forum

Pléthore de colloques et de conférences sur l’éducation ont déjà été organisés, notamment sur l’Éducation nationale, mais très peu sur les sociétés du savoir. Cette question est nouvelle, complexe, internationale et donc difficile à appréhender. 

Elle est nouvelle parce que le monde dans lequel nous vivons est en pleine révolution. Nous sommes bousculés, dérangés, interrogés, chaque jour davantage, sur nos certitudes d’hier.

Nous avons vécu des siècles au cours desquels une minorité seulement détenait le savoir. Ce savoir précieux constituait la source du pouvoir et se transmettait, entre élites, de génération en génération. Les autres individus étaient considérés comme de simples bras. Nos sociétés fonctionnaient et prospéraient ainsi. Ce paradigme touche à sa fin. En effet, la croissance du XXIe siècle impose de disposer d’une majorité de cerveaux et d’une minorité de bras. En France, près de 80 % d’une génération obtient le bac et presque 60 % aura bientôt un diplôme du supérieur.

Nous avons vécu des siècles au cours desquels une minorité de pays dispensait ce savoir, en tout cas au-delà des connaissances rudimentaires. Cette époque est révolue. Partout, l’offre s’accroît pour répondre à une généralisation de la demande d’éducation devenue vitale. La Chine compte presque 30 millions d’étudiants et des universités s’y ouvrent chaque mois.

Nous avons connu plusieurs générations dont la vie était organisée en trois temps bien définis : l’école, le travail, la retraite. Cette chronologie est également obsolète. Malheur à celui qui se contentera des savoirs que l’école et l’université lui auront transmis entre ses 5 ans et ses 20 ans.

Derrière ce tsunami du savoir se posent trois questions. La première est : comment répondre quantitativement et qualitativement à cette gigantesque demande de savoir ?

La deuxième porte sur la manière d’aider les exclus, les retardataires et les déçus de cette éducation de masse. Nous disposons, certes, du numérique. Cela constitue, bien sûr, un réel espoir pour tendre davantage vers le partage que vers la partition. Mais nous ne devons pas nous faire d’illusions : le numérique ne résoudra pas tous les problèmes et, en lui-même, impose de nouvelles contraintes. En Europe, la présence de plusieurs maîtres dans la même classe est parfois requise pour pouvoir lutter contre les difficultés scolaires, même quand chaque élève a devant lui une tablette ou un ordinateur. De même que la mondialisation n’a pas eu raison des ambassadeurs, l’ordinateur n’aura pas raison des éducateurs et des pédagogues.

Le numérique amène à une troisième et dernière question : n’avons-nous pas confondu information et savoir, démocratisation de l’information et démocratisation du savoir? Qui a défait Hillary Clinton, David Cameron, Matteo Renzi, sinon précisément l’information véhiculée sur Internet et les réseaux sociaux ? Platon se posait déjà la question dans son allégorie de la caverne et des philosophes rois : comment passer d’une société de l’information à une société du savoir ? 


Yves Pozzo di Borgo
sénateur de Paris
président de l'institut Jean Lecanuet

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