Petit-déjeuner débat, « Mondialisation et grands événements sportifs »
Présentation et programme
A l'occasion de la sortie du n° 56, « Le sport gouverne-t-il le monde ? », France Forum et Sport & Démocratie organisent un petit déjeuner-débat, « Mondialisation et grands événements sportifs. Euro 2015 de basket, Euro 2016 de foot, Ryder Cup 2018 de golf, JO 2024 », autour de cinq personnalités :
Denis Masseglia
président du Comité national olympique et sportif français ;
Jean-François Lamour
ancien ministre, député de Paris ;
Brigitte Deydier
directrice de la Ryder Cup 2018 ;
Jean-Pierre Siutat
président de la Fédération française de basketball ;
Pierre Rabadan
rugbyman du Stade français.
Le débat sera animé par Sylvère-Henry Cissé, président de Sport & Démocratie, journaliste à CANAL+.
Compte-rendu
Sylvère-Henry CISSE. – Brigitte Deydier, vous êtes directrice de la Ryder Cup 2018 à la Fédération française de golf. Comment faire d’un événement sportif mondial un levier pour populariser un sport ?
Brigitte DEYDIER. – La Ryder Cup est un événement mondial aux retombées médiatiques importantes, mais demeure mal connue en France. Cette compétition de golf existe depuis 1927 et oppose les douze meilleurs joueurs américains aux douze meilleurs Européens. Organisée tous les deux ans, sur le continent américain, puis en Europe, elle est un véritable mythe dans le milieu du golf. Dans le même esprit que la Coupe de l’America ou la Coupe Davis, elle sort des compétitions classiques et se déroule par équipes, ce qui est rare pour des joueurs professionnels de golf. La formule de jeu et le score sont faciles à suivre et l’ambiance est exceptionnelle.
Cette compétition est la propriété de Ryder Cup Europe, détenteur des droits pour l’organisation en Europe (émanation de la PGA association des joueurs professionnels européens). La Ryder Cup représente le troisième ou le quatrième plus gros événement sportif en termes de retombées médiatiques. Aux Etats-Unis, certaines chaînes de télévision la retransmettent 24 heures sur 24 et plus de 1 000 journalistes sont présents.
La France a postulé afin de recevoir cette compétition avec un seul objectif : mieux faire connaître le golf et développer sa pratique sur son territoire. L’enjeu pour la Fédération française de golf et son souhait, c’est l’augmentation du nombre de licenciés. La France est le pays hôte de la compétition, mais la totalité des recettes (billetterie, plan marketing, merchandising ou droits télé) revient au détenteur des droits.
Pour développer un sport, il faut faire émerger un champion ou accueillir un grand événement. Dans le cas du golf, des structures ont été mises en place dès 2005 pour entraîner et préparer les jeunes joueurs. Cela porte désormais ses fruits et les champions français sont présents dans les classements mondiaux : Victor Dubuisson, 13e joueur mondial, et Karine Icher, 24e joueuse mondiale. Une jeune génération commence à gagner. Nous sommes sur la bonne voie et avons comme objectif d’avoir au moins un Français dans l’équipe de Ryder Cup en 2018.
Les efforts de la Fédération se portent sur l’amélioration de l’accessibilité au golf. Notre projet Ryder Cup s’attache à l’installation, d’ici à 2018, de cent structures de golf, petits équipements de proximité. Ils ont pour objectif d’être accessibles en tout temps par les transports en commun et de proposer un parcours plus court, plus facile. Ils seront également moins cher en raison de leur petite surface.
Un point fort de notre candidature a été le Golf national situé à Saint-Quentin-en-Yvelines. Reconnu par les joueurs comme difficile et sélectif, il a été construit dans les années 1980 pour accueillir les plus grandes compétitions. Au-delà de sa qualité sportive, il est conçu pour recevoir dans les meilleures conditions de nombreux spectateurs (l’objectif est de 60 000 spectateurs en 2018). Posséder un équipement de ce niveau nous permet d’avoir une longueur d’avance pour organiser, dès demain, les Jeux olympiques ou une autre compétition internationale.
L’organisation d’un grand événement mondial permet de mettre en lumière un sport. Notre enjeu, c’est de devenir attractif pour les joueurs de golf étrangers. Certains pays ont su ou voulu saisir cette voie, tels que l’Espagne, il y a déjà fort longtemps, aujourd’hui le Portugal, le Maroc ou encore la Turquie, avec de véritables programmes de soutien gouvernementaux. Nous n’avons pas dans nos missions, en tant que fédération, le développement du tourisme, mais nous souhaitons profiter de l’éclairage donné par la Ryder Cup pour montrer nos golfs, parmi les plus beaux du monde.
Un autre point marquant de cette compétition, et c’est unique : les joueurs européens défilent derrière le drapeau de l’Union européenne. Nous sommes en train de travailler avec la Ryder Cup Europe et la Communauté européenne pour valoriser la participation européenne et faire vibrer les populations.
Enfin, la Ryder Cup est réservée aux hommes. Son équivalent féminin est la Solheim Cup. Ce sont deux circuits totalement différents. En France, il y a environ 30 % de licenciées féminines et la fédération souhaite aller encore plus loin avec des opérations de promotion spécifiques.
Les nouveaux golfs de proximité vont faciliter les initiations et permettront à tout un chacun d’essayer le golf. Le public pourra alors se rendre compte que le golf est un sport convivial, que l’on peut le pratiquer en famille.
Sylvère-Henry CISSE. – Jean-Pierre Siutat, président de la Fédération française de basketball, pourriez-vous nous donner une idée du travail que vous avez effectué et que vous poursuivez pour persuader les décideurs politiques et économiques d’investir dans l’Eurobasket 2015 qui se déroulera en France ? Parvenez-vous à faire prendre conscience de l’importance d’un tel événement ?
Jean-Pierre SIUTAT. – Le basket mondial s’organise autour de deux compétitions. La première concerne les clubs avec, au sommet, la NBA. La NBA représente un business gigantesque avec près de 5 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel. Les meilleurs joueurs du monde partent aux Etats-Unis pour évoluer en NBA. L’Europe, et singulièrement la France, vient ensuite dans cette hiérarchie, mais reste pénalisée par l’insuffisante qualité de ses équipements, de ses arénas.
Les deuxièmes compétitions concernent les équipes nationales. Ce sont, bien entendu, les Jeux olympiques les années bissextiles, les coupes du monde les années paires non bissextiles, dont celle de l’an dernier, en Espagne, où nous avons décroché la médaille de bronze. Lors des années impaires, les championnats d’Europe sont qualificatifs pour la compétition qui aura lieu l’année suivante. Ainsi, en 2015, le championnat d’Europe sera qualificatif pour 2016 et donc pour les Jeux olympiques.
Pour diverses raisons sur lesquelles je ne m’étendrai pas, l’Ukraine avait été choisie pour accueillir l’Eurobasket 2015. Vous connaissez les graves difficultés que ce pays rencontre et son forfait a donc été annoncé au début du mois de juin 2014. Quinze pays ont alors candidaté pour organiser l’événement. Le travail et l’énergie que nous avons produits en France et à l’étranger pour proposer une solution commune à plusieurs pays nous ont permis de trouver en urgence le financement et les lieux adéquats (Montpellier et Lille pour la France). La France, la Croatie, la Lettonie et l’Allemagne ont été choisies pour co-organiser cet Eurobasket.
En fait, dès 2010, j’avais eu cette idée. L’intérêt d’une co-organisation se situe d’abord en termes de public et d’affluence aux matchs. Quand une compétition a lieu dans un pays unique, seule l’aréna qui accueille l’équipe du pays organisateur est pleine, et les autres enceintes se retrouvent avec une affluence très moyenne. La co-organisation permet, en quelque sorte, de multiplier les matchs « à domicile » et donc de forte affluence.
Cette méthode partagée permet aussi de mobiliser des arénas de qualité. En effet, nous n’avons pas beaucoup de grandes arénas en Europe. Il faut donc mettre en réseau toutes les enceintes sportives européennes si l’on veut proposer des compétitions vraiment de qualité.
Sylvère-Henry CISSE. – Mettre des arénas en réseau participe donc de la construction européenne.
Jean-Pierre SIUTAT. – Aujourd’hui, tout le monde est réticent à l’idée de construire des arénas de taille importante. Les maîtres d’ouvrage ne sont prêts à le faire que si, derrière, on leur fournit des produits de qualité en termes de compétition. Or, la fréquence d’organisation d’événements importants est très faible. L’idée est que l’on puisse proposer sur un temps assez rapproché des événements de top niveau. Cela suppose de travailler en réseau avec des équipes nationales de premier plan qui vont se produire dans ces arénas. C’est une construction de l’Europe comme une autre.
Sylvère-Henry CISSE. – Je me permets de faire une petite analogie avec ce que nous avons vécu place de la République, le 11 janvier dernier. Ce fut comme une sorte de psychothérapie collective. Je n’ai pas pu m’empêcher de faire le rapprochement avec le sentiment ressenti lors de certains grands évènements sportifs, comme le championnat du monde d’athlétisme, en 2003. Les Français avaient réalisé des performances extraordinaires et quelque chose d’assez inattendu s’est produit autour de cet événement. Nous avons besoin de ces moments d’unité et les grands événements sportifs y contribuent. Pierre Rabadan, qu’en pensez-vous ?
Pierre RABADAN. – Personne ne peut démentir le fait que le sport rapproche et fédère. J’ai pu le voir, moi-même, ayant la chance de beaucoup voyager grâce au rugby. J’ai pu voir des personnes d’ethnies différentes, qui se faisaient la guerre quelques années auparavant, se réunir autour de pratiques sportives qu’elles connaissaient à peine. Le sport n’était qu’un prétexte. Il possède une certaine magie et permet cela.
La question que je me pose, au-delà des enjeux économiques, diplomatiques et stratégiques, est celle des enjeux sociétaux. Comment prolonger l’effet de ces événements, une fois terminés ? Quel est leur impact social ? On sait qu’après chaque coupe du monde, chaque Euro, et il est à espérer que cela continue, il y a un nombre croissant de licenciés. Beaucoup de jeunes s’identifient à ces événements sportifs.
J’ai souvent eu l’impression que le sport était plus considéré comme un loisir que comme un moyen éducatif. Or, on se pose parfois la question de la récupération de certains jeunes en difficulté et des outils pour les raccrocher. Le sport peut être un de ces moyens. Je crois que les grands événements peuvent y concourir si l’on parvient à inscrire cela dans des logiques de long terme et si les entreprises qui ont travaillé sur ces événements, et pas seulement l’état, s’investissent davantage dans cette mission.
Sylvère-Henry CISSE. – On sait maintenant que les frères Kouachi et Amedi Coulibaly se sont rencontrés sur un terrain de foot. Pour ceux qui aiment le sport, cette information meurtrit. Ce dont on parle moins, ce sont des éducateurs qui sauvent des jeunes tous les jours. C’est un point sur lequel il faut insister.
Pierre RABADAN. – Effectivement, ils sont nombreux et un vrai potentiel d’amélioration existe. Une structuration plus importante des actions sportives est nécessaire. Beaucoup de jeunes commencent à pratiquer un sport et abandonne car ils n’ont pas, face à eux, une structure suffisamment prenante pour les rattraper, par rapport à des tentations qu’ils peuvent avoir par ailleurs.
Sylvère-Henry CISSE. – La liste de tous les grands événements qui nous attendent en France est impressionnante : les championnats du monde de cyclisme sur piste en février, puis, en septembre, les championnats du monde d’aviron, l’Euro de basket, en 2016, l’Euro de football, en 2017, les championnats du monde de handball aussi. Nous aurons également les championnats du monde de hockey, de canoë-kayak, de squash, de lutte et, en 2018, la Ryder Cup de golf, l’Euro de hand féminin. En 2019, il faut espérer que nous ayons la coupe du monde de foot féminin et en 2024… nous verrons ! Pour l’instant, nous sommes dans l’expectative.
Jean-François Lamour, cette diplomatie sportive est-elle vraiment engagée pour la France ? A quel stade se trouve-t-elle ? On en parle peu par rapport à certains pays, notamment les pays du Golfe.
Jean-François LAMOUR. – La liste que vous avez énoncée aurait pu être déclinée pour les années précédentes et même les décennies. Ce n’est pas nouveau que la France fait partie des pays qui aiment le sport et qui le valorisent autant en matière de pratique. L’action des gouvernements d’après-guerre avec la création d’un ministère de la Jeunesse et des Sports, la structuration d’un monde associatif sportif dans le cadre de la loi de 1901 ont été les socles de la pratique sportive de masse.
À un degré moindre, il y a aussi le sport à l’école même s’il n’a pas rempli, à mon goût, son rôle en matière de pratique, au sens de passerelle entre l’éducation nationale et le sport en club. Beaucoup reste à faire dans ce domaine.
La France a donc toujours été sur le devant de la scène pour organiser de grands événements sportifs. Encore une fois, on ne découvre pas les bienfaits que peuvent apporter la candidature et l’organisation d’événements sportifs sauf que l’on aimerait bien, effectivement, au-delà de tous ces événements « mono sport », un jour, de nouveau organiser les Jeux.
Cela commence à bien faire, on doit en être à la cinquième candidature depuis 1992. Cette année-là, Samaranch [1] ayant décidé d’offrir les Jeux aux Barcelonais, et ayant tout fait pour, nous avons eu en compensation les remarquables Jeux d’Albertville. On a connu ensuite plusieurs décennies ponctuées par des événements, non seulement bien organisés, mais aussi suivis d’un engouement populaire réel, ce qui est peut-être une marque de fabrique de la France.
Les Championnats du monde d’athlétisme de 2003 sont, selon moi, une sorte de révélation. On partait avec une compétition normale et, finalement, à la fois l’organisation, le résultat des équipes de France, un public extraordinaire et une sorte d’alchimie ont créé un rendez-vous exceptionnel. On peut aussi parler de la Coupe du monde de rugby, des Championnats du monde de handball qui ont remporté un grand succès. Je ne rappelle même pas la Coupe du monde football de 1998, gravée dans nos mémoires. C’est un élément fédérateur, un outil de rayonnement international du pays et un phénomène lié essentiellement à l’évolution des médias.
Quand on regarde bien les médias ou les annonceurs présents sur de grands événements sportifs depuis une quarantaine d’années, ce sont pour la quasi-totalité d’entre eux des multinationales. Sport, politique et entreprise ont créé ce socle qui a permis d’organiser de grands événements. Ceux-ci sont regardés partout dans le monde et dans l’instant, et rassemblent. Cependant, il faut voir la suite et observer s’ils permettent d’asseoir une légitimité quelle qu’elle soit. La légitimité est très différente d’un pays à un autre. La Chine veut démontrer qu’elle est la grande puissance du xxie siècle avec les Jeux ; Poutine veut démontrer qu’il est en train de reconstruire la grande Russie ; quelques années auparavant, c’était la Corée du Sud qui tendait la main à la Corée du Nord. Vous vous souvenez que les deux pays avaient défilé ensemble à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Séoul, en 1988. Cela n’a pas donné grand-chose derrière, mais c’était tout de même un élément de construction. C’est aussi l’Afrique du Sud à qui l’on offre la Coupe du monde de rugby et celle de foot. C’est, dans quelques mois, le Brésil, pays émergent de plus de 100 millions d’habitants, qui va entrer dans le concert des grandes nations avec l’organisation de la Coupe du monde de foot, suivie de celle des Jeux olympiques.
Sport et politique font « bon ménage » à condition, bien sûr, que cela ne soit pas trop artificiel. On se rend compte que, plus un pays a intégré la démocratie dans son mode de gouvernance, plus l’héritage laissé par le grand événement est important. La véritable question liée à ce sujet est celle de l’accompagnement des jeunes dans la pratique du sport.
A l’occasion de la Ryder Cup, cent petits équipements sportifs, des golfs compacts, vont être installés, y compris en centre-ville, et vont accompagner l’organisation de la compétition elle-même. Ils permettront l’initiation au golf d’enfants. Cette pratique de notre pays, qui a, d’ailleurs, été acté et validé par le comité de la Ryder Cup, est une marque de fabrique de la candidature et maintenant de l’organisation françaises.
A contrario, quand on regarde ce qui s’est passé à Athènes, ce fut un échec total. Les Grecs ont accaparé les subventions européennes et, désormais, si vous retournez là-bas, il n’y a plus rien. Tous les équipements qui devaient continuer à être utilisés, comme le bassin de canoë-kayak, sont à l’abandon ou démontés. L’héritage laissé par les Jeux de 2004 aux Grecs est quasi nul, si ce n’est un alourdissement de la dette qu’ils ne sont pas capables d’assumer aujourd’hui.
Concernant la Chine, c’est différent. On aurait peut-être pu leur donner l’organisation plus tôt. Elle voulait démontrer qu’elle comptait dans le concert international. Elle l’a plutôt bien démontré, y compris en termes d’accueil. Je ne sais pas très bien à quoi servent, aujourd’hui, les grands équipements construits pour l’occasion, le stade olympique, la piscine. Je pense qu’ils sont utilisés. Mais peu importe pour les Chinois, ce qu’ils voulaient démontrer, c’était leur puissance.
Si nous devons faire un consensus autour d’une candidature intéressante, c’est celle de Londres. On y a trouvé l’accueil, la force, la puissance. Les équipements provisoires ont été utilisés et, pour certains, démontés pour être revendus aux organisateurs des prochains Jeux ou d’autres compétitions. L’accueil fut remarquable et l’état d’esprit, excellent. Londres, ce sont des Jeux très réussis.
Les Jeux sont une bonne représentation de la politique dans le concert international à condition d’accepter les différences culturelles et démocratiques. J’ai entendu Claude Onesta, l’entraîneur de l’équipe de France de handball, se permettre de « balancer » un peu sur le Qatar avant de s’y rendre. C’est un peu facile. A partir du moment où le Qatar fait partie du concert international, il n’y a aucune raison pour que le mouvement sportif se tienne à l’écart. Les pays eux-mêmes, les gouvernants et les gouvernements, obtiennent des prêts auprès du Qatar, ils lui vendent du matériel et lui achètent du gaz. Plus les équipes iront jouer sur ces territoires, plus vite, je crois, une forme de démocratie, peut-être différente des standards occidentaux, verra le jour. Il faudra certainement beaucoup de temps, mais je crois que nous n’avons surtout pas de leçons à donner à ces pays. C’est ce que je retire de mon expérience, à titre individuel. Je comprends parfaitement qu’un athlète ne ressente pas l’envie de participer à une compétition. Je me souviens d’un commentateur télé d’athlétisme qui avait refusé d’aller à Pékin. Je respecte cette attitude. Mais une équipe nationale a plus à gagner en se rendant sur un territoire et en y défendant un certain nombre de principes, de valeurs, qu’en ne s’y rendant pas. Cela fait avancer d’une manière ou d’une autre la démocratie dans ces pays. Fondamentalement, sport et politique ont été « en ménage » et il faut que cela continue. Le sport n’est pas à côté de la politique ou, en tout cas, ne peut pas s’en défaire. On le voit d’ailleurs avec la candidature possible de Paris pour les Jeux de 2024. Elle a été annoncée par le président de la République, François Hollande. C’est toujours le plus haut sommet de l’Etat qui engage une candidature. On aimerait que cela soit un peu plus le mouvement sportif. Mais toujours est-il que, quel que soit le pays, cette initiative est souvent prise en main par les gouvernants et, évidemment, c’est une donnée à intégrer dans notre réflexion.
Sylvère-Henry CISSE. – Denis Masseglia, président du Comité national olympique et sportif français (CIO), je crois que vous n’avez, ici, que des supporteurs pour la candidature de Paris 2024. Je parlais du plaisir et du bonheur de vivre de grands événements sportifs. Paris 2003, je l’ai vécu de l’intérieur et de l’extérieur. Londres, même si nous n’étions pas les organisateurs, c’était tout de même un grand moment aussi. Cela a exacerbé notre envie de recevoir les Jeux à Paris. Va-t-on enfin les avoir, ces Jeux à Paris ?
Denis MASSEGLIA. – Si cela ne dépendait que de moi, on les aurait, ces Jeux. Je pense qu’il faut bien poser les enjeux d’une candidature et d’une organisation olympiques. D’abord, effectivement, la question est de savoir quel est l’intérêt d’organiser un grand événement. Je crois que la France a déjà montré sa capacité à organiser un grand événement, que ce soit la Coupe du monde de football, celle de rugby, les Championnats du monde d’athlétisme, entre autres. Donc, ce n’est pas l’enjeu prioritaire pour nous, comme cela peut l’être pour un pays émergent. En revanche, pour nous, il est important que ces événements servent à transformer la nation en une véritable nation sportive.
Je me permets une parenthèse par rapport à ce qui a été dit à propos de la passerelle entre l’école et la vie associative sportive. Je milite pour que l’on change le nom du ministère de l’éducation pour remplacer le mot « éducation » par les mots « enseignement » ou « instruction ». L’éducation appartient à tous, pas uniquement au ministère de l’éducation. Il existe une fracture entre l’enseignement et tout ce qui gravite autour, et il ne s’agit pas que de l’associatif sportif. On ne dit pas à un jeune « viens faire du sport dans un club, tu vas grandir et devenir citoyen ». Il doit, tout d’abord, venir pour avoir du plaisir. Et, par l’apprentissage d’un certain nombre de choses, il grandit. Il faut miser sur l’éducatif au sens de l’éducation nationale pour lutter contre les problèmes de société que l’on rencontre, mais il faut aussi s’appuyer sur l’animation générale à laquelle le monde associatif se dévoue pour espérer avoir un jour une société un peu plus fraternelle dans le sens du « vivre ensemble ».
Ceci étant dit, si l’on reprend la question des grands événements et de ce que peut apporter une candidature olympique, je rejoins tout à fait Jean-François Lamour sur le fait que Londres, avec un slogan magnifique, « Inspire une génération », a fait la démonstration de ce que les Jeux pouvaient apporter à une nation. Les Britanniques, qui, aux Jeux de 1996, n’avaient obtenu qu’une seule médaille d’or, ont, seize ans plus tard, à Londres, gagné trente médailles d’or. C’était la démonstration d’un peuple qui se mobilisait et qui avait envie de gagner. Les entreprises britanniques ont eu par voie de conséquence une image de gagnantes. Elles me l’ont dit. C’est en partie la conséquence d’une politique sportive justement organisée, initiée pour que les Britanniques fassent honneur à leur statut de pays hôte. Il y a dans le challenge olympique à la fois la possibilité de briller et celle de laisser un héritage qui n’est pas seulement matériel, mais aussi, heureusement, essentiellement sociétal. Dans celui-ci, il me semble que le message « d’inspirer une génération », c’est quelque chose que l’on peut faire nôtre aussi. On pourrait même l’étendre pour inspirer toutes les générations.
Pour des questions d’éducation, de bien social, de santé publique, d’intégration, le sport doit faire partie intégrante de toutes les politiques. Je me souviens, il y a quatre ans, avoir assisté à la restitution des travaux d’urbanistes liés au Grand Paris. Un nombre important d’espaces culturels avaient été prévus. C’est bien, je ne vais surtout pas aller contre. Mais il eût été également intéressant de penser au sport. Alors, si ces grands événements permettent à tous les décideurs de prendre conscience de l’importance du sport pour la société française, alors oui, il faut en organiser sans cesse, pour que demain nous soyons vraiment un pays sportif.
Ryadh SALLEM. – J’ai envie de réagir sur ce qu’a dit Denis Masseglia sur la candidature de Paris et la raison de cette candidature. Pour nous, personnes handicapées, elle a d’abord un parfum supplémentaire d’autonomie. J’ai participé à cinq Jeux olympiques. Dans toutes les villes que j’ai pu visiter, avant il était quasiment impossible de circuler en fauteuil, après c’était juste magique pour tout le monde. Nous avons donc un enjeu supplémentaire à Paris, celui de de l’accessibilité. Nous nous battons depuis des années sur l’accessibilité du métro et celle d’autres équipements. Alors qu’on nous parle toujours de moyens financiers insuffisants, si demain nous avons une candidature pour les Jeux, ces moyens financiers vont être beaucoup plus faciles à trouver. Il s’agira d’un investissement et non d’une dépense. On sait que la population vieillit et qu’elle continuera à avoir besoin de se déplacer. Les mouvements, c’est la liberté, un des piliers fondamentaux de notre République. Avoir les Jeux, ce n’est pas uniquement démontrer que nous savons organiser des événements.
Alors qu’on parle du « vivre ensemble », le sport est un outil indispensable. Il faut une société de grands projets autour desquels on peut rassembler une nation tout entière et créer une dynamique. Qu’il y a-t-il de plus puissant que les Jeux pour « embarquer » une nation, un continent tout entier ? Ils sont quasi vitaux pour nous, pour notre vieille France et notre vieille Europe. Pour notre mouvement associatif. Les Jeux créeront une dynamique, apporteront de la fraîcheur, une envie. Pour combattre la morosité ambiante et lutter contre les idées qui s’installent dans la tête de certains jeunes des quartiers, il faut de la matière concrète et pragmatique. Un pays comme la France, qui a inspiré la planète avec ses valeurs, les droits de l’homme, a désormais besoin d’être inspiré. Oui, les Jeux sont vitaux pour notre pays.
Denis MASSEGLIA. – Tout d’abord, c’est remarquable qu’un athlète paralympique parle de « Jeux ». Il ne dit pas « Jeux olympiques » et « Jeux paralympiques ». Je dis la même chose : les Jeux. On a, désormais, intégré la dimension paralympique pour dire qu’ils sont à la fois olympiques et paralympiques.
Je souhaite également revenir sur le fait que le mouvement sportif a été missionné par le président de la République lorsqu’il est venu à Londres, en 2012. Lors de son intervention au Club France, il a demandé au mouvement sportif d’analyser les conditions d’une éventuelle candidature et de la prendre en main. C’est pour cela que la démarche est différente des années précédentes. On a souhaité s’appuyer, d’abord, sur une étude d’opportunité qui peut constituer la base d’un éventuel dossier, plutôt que de se baser sur une envie, un coup de cœur. On saura, désormais répondre aux deux questions : pourquoi et comment. Il faut également répondre aux préoccupations et convaincre ceux qui ne sont pas favorables à cette candidature pour créer un engouement. Il faut pouvoir dire que la France veut vraiment les Jeux.
Sylvère-Henry CISSE. – Nous sommes des ambassadeurs. Nous allons défendre la candidature, le projet Paris 2024. Où se situent les blocages ? Que doit-on faire ? Quels sont les éléments de langage à utiliser pour convaincre ceux qui sont encore réticents ?
Denis MASSEGLIA. – C’est bien pour cela qu’un dossier d’opportunité a été élaboré et sera rendu public le 12 février. Nous aurons alors les éléments et les arguments sur lesquels nous appuyer pour que, demain, des millions de Français disent « on veut les Jeux ». Avec ce résultat, je pense que tout, ou du moins davantage, sera possible.
Jean-François LAMOUR. – Ryadh Sallem vient de mettre en évidence, avec son exemple de l’accessibilité, ce que j’appelle l’héritage laissé par les Jeux. Ce ne sont pas simplement les équipements sportifs, c’est aussi l’aménagement d’un territoire. Il évoque essentiellement l’accessibilité du métro. Pour les bus, c’est à peu près réglé ; mais, pour traverser Paris en bus à l’heure de pointe, il faut deux heures et demie en moyenne donc cela reste tout à fait insuffisant. Le dispositif de transport PAM permet de prendre en charge un certain nombre d’handicapés, mais est totalement sous-dimensionné. Ryadh Sallem évoque également le vieillissement de la population, c’est-à-dire les personnes à mobilité réduite, et là tout reste à faire. Cela coûterait environ 1 milliard d’euros de rendre accessible tout le réseau de métro parisien. Aujourd’hui, les moyens financiers ne sont pas disponibles. La priorité est plutôt à la création de voies nouvelles. Pour ce qui concerne Paris, à chaque fois que la question est posée au STIF, l’organisme en charge de la gestion des transports en commun en île-de-France, mais aussi à la RATP et à la SNCF, il nous est répondu que ce n’est pas leur priorité et qu’ils n’ont pas l’argent pour. S’il y a bien un héritage qui peut être laissé par les Jeux, c’est donc celui-là. Peut-être pas pour l’ensemble de Paris, mais en tout cas pour les lignes de métro. Il ne suffit pas de rendre une station accessible. Si cela n’est pas fait sur tout le réseau, ça ne sert strictement à rien. C’est plusieurs lignes ou rien. Voilà un enjeu et une ambition qui sont à la fois raisonnables et sensés, et qui peuvent d’ailleurs marquer les membres du Comité international olympique.
Sur la candidature, j’ai une vision un peu différente de celle de Denis Masseglia, qui est dans son rôle de président du Comité national olympique et qui va porter la candidature après une expertise. Personnellement, je pars du principe que si nous décidons d’y aller de nouveau, nous devons gagner. On ne peut pas continuer à perdre. J’ai vécu déjà quatre candidatures. Je les ai toutes vécues dans ma chair, si je puis dire. En 2004, notre candidature n’était pas sérieuse. Elle l’était plus à Moscou avant de recevoir la claque de Singapour, en 2005. Cela laisse des traces. On ne peut pas repartir simplement pour repartir. Si l’on y va, c’est pour gagner. Ce n’est pas faire preuve d’orgueil, ni de supériorité que de dire cela.
Nous allons attendre le rapport qui va être remis, non seulement à la maire de Paris, Anne Hidalgo, mais aussi au président de la République et à tous les Français. Ce sont eux qui doivent partager ce moment, ce sont eux qui vont avoir à accompagner une candidature. Il faut vraiment que tous les paramètres et les signaux, en tout cas leur quasi-totalité, soient au vert pour pouvoir y aller : la position de la France, la qualité du dossier – même si l’on sait que, malheureusement, cela ne fait pas tout – et une dynamique et un portage différents. Je reconnais bien volontiers que ce dernier était insuffisant en 2012. Nous étions trois ou quatre à gérer la candidature et on le faisait à quart ou à tiers temps. Dans le même temps, un anglais y passait 110 % de son temps. Nous devons avoir un modèle d’organisation différent.
Les autres éléments qui rentrent en compte, c’est la gestion des membres du CIO, les représentants dans les fédérations internationales, les annonceurs. Pour ces derniers, lorsque l’on voit le poids des sponsors américains, il faut définir quelle va être notre réponse. La géopolitique est également à prendre en compte avec les choix des uns et des autres, en particulier de deux régions dont le Moyen-Orient. Ce sont des éléments qu’il faut jauger et juger avant de repartir. Parce que les Parisiens, on ne leur refait plus. Une candidature cela coûte 60 millions d’euros. Pour l’accessibilité, c’est plutôt un investissement et, de manière globale, c’est un coup de booster réel, mais un booster qui a un coût. Je vous rappelle que l’Etat n’a plus d’argent et qu’il faudra donc compter essentiellement sur la mobilisation des entreprises et du contribuable français et francilien, sous une forme ou sous une autre. Cela en vaut-il la peine ? Voilà tous les enjeux de la candidature.
Denis MASSEGLIA. – On n’annoncera pas la candidature dans quelques jours. En février, c’est simplement la remise du rapport d’opportunité. Nous nous donnons quatre mois ensuite pour susciter l’engouement et pour s’organiser. Anne Hidalgo, la maire de Paris, organise la restitution du rapport à l’Hôtel-de-Ville, le 12 février. C’est déjà quelque chose à souligner. Ensuite, il faut laisser faire les choses en fonction du calendrier fixé. On a dit qu’il y aurait une annonce, si annonce il y a, au début de l’été.
Brigitte DEYDIER. – On est toujours perçu par les Anglo-Saxons comme arrogants. En tant que Français, nous considérons que nous savons organiser, mais nous ne sommes pas les seuls. Nous sommes, pourtant, toujours en train de le revendiquer. Si nous décidons de lancer une candidature pour les Jeux, pour les retombées structurelles, pour développer l’accessibilité, pour cette société du « vivre ensemble », il faut se remettre en cause et arrêter de fonctionner toujours de la même façon. Nous devons être capables de travailler ensemble et, surtout, en collaboration et en complémentarité. Nous devons inventer un rêve, une nouvelle société.
Yves POZZO DI BORGO. – J’ai une remarque et une question. Je m’intéresse à ce sujet de l’accessibilité. Il est vrai qu’à Paris, sur les 8 milliards de budget général, seuls 20 millions sont consacrés à l’accessibilité chaque année, depuis dix ans. J’ai récemment interrogé la maire, Anne Hildago, sur ce point. Le fait que les Jeux soient un formidable booster pour l’accessibilité, je crois que c’est un élément fondamental.
Il y a quelques années, l’association du Grand Paris, présidée par Pierre Simon, avait commandé à KPMG un rapport sur les grands événements mondiaux et notamment sur les Jeux olympiques et l’Exposition universelle. Il fut très révélateur en démontrant que toutes les grandes villes mondiales hôtes de ces événements ont bénéficié, chaque fois, de répercussions économiques importantes. Elles deviennent des leaders en termes d’attractivité économique. Shanghai est un bon exemple. Je constate qu’au Conseil de Paris il y a un penchant du côté de l’idée de l’Exposition universelle, lancée par Jean-Christophe Fromantin. L’échec de Londres est vécu comme une blessure au sein du Conseil. Il faudrait alors clairement donner des arguments montrant que les Jeux olympiques sont plus importants que l’Exposition universelle. Je me pose la question de savoir si nous pouvons assumer les deux. J’ai tendance à penser que cela serait difficile, surtout à la même période.
Denis MASSEGLIA. – Nous ne nous sommes pas situés en tant que concurrents de l’Exposition universelle et nous ne le sommes pas. Nous nous sommes concentrés sur le dossier JO et ce qu’il pouvait apporter.
Depuis les événements de janvier, l’héritage sociétal a tout de même été touché. Il est important d’indiquer que si l’on veut avoir un projet qui rassemble tous les Français et en particulier les jeunes, je ne crois pas qu’il y ait besoin d’une grande démonstration de ce que les Jeux peuvent apporter. C’est une prise de conscience de tout le monde qui fait que, d’une part, on a plus à gagner en travaillant en synergie plutôt qu’en créant une opposition entre deux projets, et que, d’autre part, il ne faut pas oublier que nous n’en sommes encore qu’au stade de l’idée de candidature.
Il vaut mieux s’interroger sur ce que l’on a à gagner, imaginer ce qu’il y a de positif dans les deux dossiers. Il faut créer des échanges de synergie entre les deux plutôt qu’une concurrence dont l’un et l’autre seraient les perdants.
Armand de RENDINGER. – Le besoin pour la France d’une candidature et des Jeux olympiques résonne très intelligemment, passionne et peut se comprendre. Cependant, dans le cadre de ce débat sur la mondialisation et le sport, deux autres questions majeures doivent être posées, surtout aujourd’hui, au-delà de la qualité des études qui seront remises le 12 février.
La première question est de se demander si la France, comparée à d’autres prétendants, est une simple nation de sportifs ou une véritable nation sportive. En effet, il faudrait savoir si l’on a vraiment résolu ce problème assez prégnant chez nous : mettre le sport ponctuellement au service de la communication du gouvernement et des gouvernants ou mettre de façon pérenne toute la nation au service du sport et réciproquement. Les politiques évoquent souvent les liens entre le sport, l’éducation et l’école, mais il n’y a pas qu’eux. Des liens sont aussi à développer avec l’armée, avec les entreprises, avec le seniors, etc. Une nation sportive est une nation qui n’arrête pas le sport lorsque l’on sort de l’école ou lorsque l’on devient « vétéran ». Une nation sportive est un pays dont les gouvernements placent le sport comme une des priorités majeures de développement et de façon constante dans la plupart des strates de la société. Aujourd’hui, la France ne peut pas se revendiquer comme un pays sportif ou comme une nation sportive, à la différence d’autres pays. Par exemple, le Qatar, la Colombie, certaines républiques de l’Europe de l’Est ou d’Asie centrale, le Koweït, etc., considèrent, pour des motifs souvent différenciés et qui leur sont propres, que le sport est une « action » fondamentale, un élément permanent dans le développement d’un pays, bien au-delà de l’image que ces pays peuvent et veulent véhiculer par le sport à l’étranger. En France, les politiques de droite comme de gauche n’ont jamais résolu ce problème. Contrairement à d’autres pays pourtant aussi développés que le nôtre, en France, le sport est trop souvent considéré comme un simple et ponctuel « placebo » qui crée éventuellement un lien social. Ce n’est pas suffisant. Il doit être un élément indispensable et permanent du développement de notre société et nécessite une politique délibérée et constante d’investissement. A partir de là, nous serons considérés comme une nation sportive et non comme un pays qui ne se dit sportif qu’à l’occasion d’une candidature à l’organisation de grands événements. Nous serons ainsi, parce que nous sommes un pays majeur, encore beaucoup plus crédibles pour se voir attribuer de grands événements tels que les JO. Il faut clairement que nos gouvernants, quels qu’ils soient, s’engagent à long terme, au-delà d’une candidature ponctuelle aux Jeux et à des compétitions sportives, à considérer le sport, par ses valeurs et l’économie qu’il représente, comme un élément indispensable, déterminant pour ses citoyens et pérenne dans une société.
La seconde question concerne la notion de rapidité de prise de décision pour ou contre une candidature aux Jeux. Nous sommes assez nombreux, ici, à avoir participé à des candidatures nationales et étrangères. Certaines ont réussi, d’autres ont échoué. Un projet de candidature pour les JO de 2024 à Paris sera donc rendu le 12 février prochain. Ensuite, en juin ou en juillet, nous allons dire si oui ou non nous poserons une candidature, en fonction notamment de la faisabilité technique et financière du projet et du degré de mobilisation et d’acceptabilité de la population. Mais, pendant ce temps, d’autres pays concurrents ou non ne se posent pas ou plus la question de savoir si c’est une bonne chose ou non pour eux d’avoir et d’organiser les Jeux. Ils ont déjà passé ce cap. En France, non. On se pose la question à chaque candidature, étant donné que nous sommes dans l’obligation de convaincre à chaque fois les politiques et la population, faute de les avoir entretenus dans l’idéal olympique au préalable. Cette question de l’intérêt pour la France, « revisité » ou non, des JO aurait pu, aurait dû être résolue depuis longtemps. Au contraire, faute d’analyse objective des causes réelles des échecs passés et surtout faute d’investissement suffisant, indépendamment de quelques initiatives privées, dans la promotion du sport au préalable, on créera de nouveau dans les quatre mois qui viennent une envie ou une frustration encore plus grande d’avoir ou non les Jeux. En effet, le débat franco-français sur l’intérêt économique, politique et social des Jeux, l’image de l’olympisme et du CIO, les valeurs du sport, ses dérives, la corruption, etc., va revenir sur la place publique et ce, au vu des décideurs internationaux.
Pour ne pas décevoir ceux qui seraient appelés à nous attribuer les Jeux, il va falloir « maîtriser intelligemment » cet inéluctable débat, afin d’éviter tout dérapage et de créer, au final, un clivage de la population, en juillet prochain, et éventuellement durant deux ans de candidature, avec 50 % pour les JO et 50% contre.
Dans ce contexte particulier, nous sommes, là aussi, dans la relation gouvernement et sport, politique et mouvement sportif. Pour la France et les Français, il n’est pas évident de savoir, dans la gouvernance du sport national, « qui est maître de qui » : le politique ou le sport ? La manière dont la décision sera prise pour ou contre les JO de 2024 à Paris sera plus qu’une indication et impactera pour longtemps l’image de la France dans le mouvement olympique international et sa manière de résoudre le lien de subordination qui existerait entre le sport et le politique ou vice versa. Ceci est loin d’être neutre pour le mouvement sportif français, ainsi que pour les décideurs du mouvement olympique international.
Denis MASSEGLIA. – Je veux prendre l’exemple de la Colombie. C’est un cas particulier. Les communications téléphoniques sont taxées à hauteur de 4 % et cela sert à promouvoir l’action du sport dans le pays. La ville de Medellín, connue pour le cartel de la drogue et autres, a consacré pratiquement 36 % de son budget au triptyque éducation-culture-sport. Et, miracle, quinze ans plus tard, les incivilités ont reculé. Il y a des équipements sportifs et des éducateurs partout dans la ville, et tout le monde a compris l’intérêt du « vivre ensemble ». C’est une leçon que les Colombiens peuvent donner au monde entier. C’est une expérience sur laquelle chacun peut s’appuyer puisque, pour les cités difficiles, Medellín peut être une référence en la matière. Elle montre l’évolution de cette cité et peut être aussi une indication sur ce que peut apporter une politique sociétale dans laquelle le sport constitue un élément majeur.
S’agissant de la candidature, il faut absolument que l’on ait toutes les réponses aux questions qui pourraient être posées. Un des enseignements que l’on peut tirer des candidatures précédentes concerne, par exemple, la gouvernance. Tout le travail que l’on a déjà fait doit servir pendant les prochains mois et dans la période des deux ans qui séparent le dépôt de la candidature du CIO de septembre 2017. Avec un canevas totalement posé qui, je l’espère, évitera que l’on ait les discussions ou les difficultés que l’on a pu rencontrer par le passé. Il faut se donner les meilleurs moyens pour y arriver et continuer à avoir un peu d’humilité aussi.
Jean-François LAMOUR. – L’une des valeurs du sport, c’est aussi, à la fin, de gagner. Il y a toujours un vainqueur et un vaincu ; et celui-ci place alors tous ses efforts dans l’espoir de gagner la fois suivante. Toute l’essence de la prochaine candidature, c’est cela. L’humilité n’exclut pas cette capacité, cette dynamique, cet élan.
Pierre MBAS. – Dans le sport, il faut aussi apprendre à perdre et à tirer des enseignements des défaites. Il faut se remettre en question pour rebondir.
Je voulais revenir sur les propos de Pierre Rabadan sur la dimension sociétale du sport, notamment pour évoquer le manque de passerelles entre les différentes disciplines. Les pratiquants se rencontrent trop rarement les uns les autres pour échanger et découvrir les différentes disciplines. Mais ces passerelles manquent aussi entre les jeunes pratiquants du sport et l’environnement du sport qu’ils ne maîtrisent pas du tout pour la plupart. J’insiste là-dessus car le pratiquant du sport peut être un futur dirigeant du sport et donc un ambassadeur de sa propre discipline sportive. Nous avons un programme au Stade de France qui permet aux jeunes des quartiers défavorisés de venir dans ce lieu sportif, récréatif, pour découvrir les métiers du stade, mais aussi tous ceux du sport. Ils réfléchissent au parallèle qui peut exister entre ces métiers et les matières qui leur sont enseignées. Je pense que c’est important que les jeunes puissent se projeter à travers le sport vers les métiers du sport. Mêmes s’ils n’ont pas de liens directs comme, par exemple, le sponsoring ou le mécénat dans les entreprises. C’est aussi de cette manière-là qu’ils vont pouvoir devenir les futurs ambassadeurs d’une éventuelle candidature.
La dynamique dont a parlé Ryadh Sallem est très importante. La problématique qui se pose avec les jeunes aujourd’hui, c’est qu’ils ne comprennent même pas l’environnement des disciplines qu’ils pratiquent. Il y a un message fort à leur faire parvenir. Il pourrait être fait dès la classe de troisième quand il y a des stages « découverte ». Pourquoi ne pas leur permettre d’en effectuer dans des institutions sportives ou dans les clubs pour qu’ils découvrent tous les métiers qu’il y a autour ?
Jean-François LAMOUR. – Cela se fait déjà, les jeunes sont accueillis dans les fédérations sportives.
Pierre MBAS. – Il faudrait vraiment le faire de façon plus importante et dans les clubs.
Pierre RABADAN. – Je partage évidemment vos propos. Si l’on décide d’y aller, et évidemment je ne maîtrise pas tous les paramètres, il faut légitimer la candidature auprès de toute la population. C’était aussi le but de mes propos, d’expliquer que ce n’est pas uniquement un investissement économique. On sait très bien que chaque candidature a un coût très important et que beaucoup de personnes ne vont voir que cet aspect. La communication est très importante pour recueillir l’adhésion de l’ensemble de la population. Par exemple, les jeunes pratiquants doivent voir ce que cela peut leur apporter.
Il faut essayer de favoriser des passerelles, c’est exact. Je constate que beaucoup de joueurs arrivant dans le giron du sport professionnel, un monde où il y a de l’argent et de la pression, ne comprennent pas l’environnement dans lequel ils vivent eux-mêmes. Ils y ont pourtant grandi. Ils arrivent dans un milieu qu’ils ne comprennent pas car on ne leur a en sans doute pas enseigné tous les ressorts. Effectivement, plus on prend ce sujet tôt, moins on aura de problèmes par la suite.
Denis MASSEGLIA. – Les dirigeants de club, et j’en ai fait partie, ont, à chaque rentrée scolaire, la même envie de recruter des jeunes. Ils ont tous un jour essayé de pénétrer le milieu scolaire pour expliquer en quoi c’était intéressant pour un jeune de venir dans leur club. J’attends toujours le témoignage de ceux qui ont trouvé que c’était facile. C’est extrêmement compliqué, alors même que tous les jeunes passent par l’école et que celle-ci accepte de dire qu’à l’extérieur il y a aussi une vie sociale à travers laquelle un jeune arrive à acquérir des repères.
La vraie qualité de l’associatif sportif, c’est qu’il permet de créer une identité. Quand on est dans un club, on hérite en même temps de l’histoire du club, du maillot, de ce qui fait son identité. C’est tout de même mieux que de passer son temps en bas de la cage d’escalier ou devant une PlayStation, je crois. Cela fait partie de la construction humaine. Cela ne coûte rien que l’école et l’associatif travaillent de pair. C’est un vrai enjeu de société. Alors si un jour la candidature peut aider à cela, ça sera peut-être la raison principale pour laquelle il faudra y aller.
Ryadh SALLEM. – Je voudrais exprimer deux regrets. Le sport professionnel reste le fait d’une petite minorité. Je trouve qu’il faudrait l’élargir à tous : les féminines, le sport handicap. Comme dans le monde anglo-saxon, le sport est une réelle économie, une plus-value aussi. Nous sommes encore sur le modèle du sport populaire qui fait du bien et qui est bon pour la santé. Aujourd’hui, le monde a changé. Il faut essayer de préserver cette qualité que l’on a avec nos bénévoles, mais nous ne devons pas nous voiler la face. Le sport doit se professionnaliser.
Le second regret, ce sont nos médias. Ils diffusent tous la même chose. Je n’ai jamais vu autant de chaînes de sport proposant les mêmes contenus. J’ai vu que les féminines de rugby ont été diffusées à la télévision récemment, mais ce n’est pas normal que cela soit si rare. Comment est-ce possible qu’un pays comme le nôtre ne puisse pas diffuser la victoire d’un sportif français à l’autre bout du monde ? Pour être informé, il faut être présent à la compétition, faire partie de la fédération ou même être sur la page Facebook.
Comment se fait-il que les journalistes ne donnent pas le minimum syndical de ces informations, au moins quand ce sont les équipes de France ? Je comprends que l’on ne puisse pas parler de tout le monde, mais ces équipes représentent la nation. Indirectement, et surtout pour le sport amateur, notre salaire dépend des médias. Donc si l’on veut changer les mentalités, prouver que les filles réussissent, que les jeunes des quartiers gagnent aussi, il faut que les médias nous aident. C’est fondamental. Si l’on arrive à corriger ces deux points, à savoir le soutien du monde économique et celui des médias, on progressera.
Armand de RENDINGER. – Dans le prolongement de ce qui vient d’être dit, il ne faut pas oublier le rôle joué par les 2 à 3 millions de bénévoles agissant dans le milieu du sport. Nous avons une force extraordinaire avec ces bénévoles et les associations qu’ils animent. Nous avions d’ailleurs fait par le passé un calcul économique pour savoir s’il ne serait pas utile de procéder à une valorisation et même, pourquoi pas, à une « professionnalisation » des bénévoles. Cela aurait au moins le mérite, grâce au sport, d’innover, de contribuer à la création de véritables emplois et, éventuellement, à la diminution du chômage.
Ryadh SALLEM. – Je voudrais également rendre hommage à Jean-François Lamour qui, lorsque qu’il était ministre, a aligné les primes pour les médaillés des Jeux olympiques et des Jeux paralympiques. Ce sont des choses qui sont fondamentales symboliquement, c’est du concret et du pragmatisme. Je salue cette politique et vous avez donc fait partie de ces grands ministres.
Sylvère-Henry CISSE. – En ce qui concerne les bénévoles, c’est un chantier de Sport & Démocratie avec notamment le centre de formation continue des bénévoles, une des propositions de notre plateforme.
Jérôme CAZABAN. – En 2012, comme vous tous, j’y ai cru et je n’ai eu qu’un seul regret : notre clip. Quand les vidéos sont passées devant le jury, j’ai vu notre film conçu par un grand réalisateur et j’ai regardé celui de Londres. Et là, je me suis demandé comment nous allions faire. On a présenté un Paris de carte postale, le Paris d’Amélie Poulain. On ne voyait pas le Paris du « vivre ensemble » alors que, de l’autre côté, c’était le Londres du « vivre ensemble » et le Londres du xxie siècle. Je me suis alors dis « Ciao, les Jeux ! ça sera pour 2024 ». J’espère que l’on aura un beau clip, quitte à faire quelque chose de moins prétentieux. Soyons arrogants dans le bon sens du terme, mais ne soyons pas prétentieux.
Tout comme Pierre Rabadan, je souhaite que l’on arrive à mieux remplir les stades, à commencer par ceux de rugby le week-end.
Dernier point, je voudrais revenir sur les Jeux paralympiques. Comment se fait-il que les Jeux paralympiques, qui emboîtent le pas aux Jeux olympiques, ne puissent pas utiliser les anneaux olympiques ? Il existe un drapeau spécifique aux Jeux paralympiques. Cela m’a toujours étonné.
Denis MASSEGLIA. – C’est le comité paralympique qui veut sa propre identité. Ce n’est pas le CIO qui ne lui donne pas ce droit. Les athlètes paralympiques nous avaient justement fait cette demande.
Brigitte DEYDIER. – Je voudrais aborder un point, mais aussi rendre hommage aux médias, car, dans l’équilibre économique du sport, il y a les médias, les entreprises et le mouvement sportif. Le rapport des médias avec le sport paraît, parfois, assez primaire, mais il est essentiel. Les médias ont une responsabilité dans le développement (ou la disparition) du sport. Les critères économiques influent sur les choix de diffusion, d’accompagnement, mais, de mon point de vue, ne doivent pas être les seuls critères. Les entreprises participent également au développement de l’esprit sportif. L’engagement à moyen et à long terme est indispensable pour faire un travail intéressant.
Jean-Pierre SIUTAT. – Je vais sortir de mon rôle pour vous dire que je suis membre du bureau exécutif de la FIBA Europe, mais aussi du bureau central de la FIBA. J’ai pratiqué le lobbying pour pouvoir être élu, contre le mouvement général puisque je ne devais pas l’être. L’Afrique m’a élu. J’ai fait carton plein sur ce continent. Je ressens que la France dans le sport est un exemple, une référence. Nous avons les valeurs, mais aussi les capacités et un savoir-faire. Aujourd’hui, je suis obligé de me battre à l’interne, ici, en France pour pouvoir trouver des moyens modestes pour aider ceux qui, à un moment donné, ont fait nos élections, c’est-à-dire les Africains. Et sur une candidature olympique, ceux-ci me disent : « Ne venez pas huit jours avant, sinon on va mal le ressentir. »
Sylvère-Henry CISSE. – Pour aller dans ce sens, et je suis ce dossier de près avec Jean-Pierre Siutat, vous, journalistes et décideurs institutionnels ou privés, intéressez-vous au travail qu’il fait. Il est en train d’établir une nouvelle relation avec l’Afrique. Ce qui est intéressant, c’est qu’en ce moment l’Afrique regarde la Fédération française de basketball d’un autre œil, et je le dis d’autant plus volontiers que je suis d’origine africaine. C’est extrêmement réjouissant.
Denis MASSEGLIA. – Je ne sais pas si c’est le mot de la fin, mais c’est important que l’on puisse demain être chacun dans son rôle pour promouvoir le sport. Si beaucoup de Français ont conscience de ce que le sport peut apporter à la société, c’est aux décideurs de l’intégrer aussi et que tout cela se traduise par une vraie politique sportive au sein de la nation. Tout le monde prend conscience que, petit à petit, il faut progresser et travailler ensemble. Je pense que c’est probablement la clé de la réussite. Travailler ensemble, chacun dans son rôle et pas en se marchant sur les pieds, chacun pensant qu’il peut faire mieux que l’autre dans un certain désordre. Je pense que l’on peut y croire ! Moi j’y crois !
[1]. Juan Antonio Samaranch, président du Comité international olympique de 1980 à 2001.
Petit-déjeuner débat, « Mondialisation et grands événements sportifs »
Métro : Solférino (ligne 12)
Bus : Bourgogne (69)