"L’unité des 27 pays membres face à Theresa May est très encourageante"
Quelles conséquences peuvent avoir les élections britanniques pour l'Europe et pour la France ?
Institut Jean Lecanuet. – Dans votre ouvrage Brexit : une chance ? Repenser l’Europe, vous évoquiez le Brexit comme une chance de relancer la construction européenne. Pensez-vous que cela est toujours le cas ?
Nicole Fontaine. – Aujourd’hui, c’est même plus que cela : c’est une chance en train d’être saisie même si la route sera longue. D’autant que la confiance entre les États-Unis et l’Europe est rudement mise à l’épreuve et Angela Merkel, qui a pourtant pour habitude de peser ses mots, a été très explicite en ce sens ces derniers jours.
Il est intéressant de constater qu’aujourd’hui existe un très large consensus sur la volonté de relancer, de repenser, de rénover l’Union européenne et de faire en sorte qu’elle prenne un nouveau départ. L’unité des 27 pays membres face à Theresa May pour entamer cette refondation de l’Europe est très encourageante. Toutefois, il convient de rester prudent car, en politique, les changements sont rapides.
IJL. – Concernant les élections législatives britanniques, qui auront lieu le 8 juin 2017, pensez-vous que, selon le résultat, le gouvernement de Theresa May pourrait revenir sur la sortie de l’Union européenne ?
NF. – Je ne pense pas que Theresa May ait songé qu’une majorité conservatrice puisse revenir sur le Brexit. Elle a provoqué ces élections dans le but évident d’obtenir une large majorité à la Chambre des communes et ainsi de renforcer sa position dans des négociations dont elle se rend compte de la complexité.
Elle a réalisé que son entreprise de division des États membres n’a pas eu le succès espéré. Les Européens sont restés unis, notamment autour de Michel Barnier. La France peut être fière que ce soit l’un de ses citoyens qui brandisse le drapeau de l’Union européenne et de sa relance. C’est une très bonne chose pour la construction européenne.
IJL. – Il semble donc peu probable que Theresa May subisse la même désillusion que David Cameron avant elle ?
NF. – La Chambre des députés a confirmé le résultat du référendum sur le Brexit. Aujourd’hui, le train est en marche et je ne vois pas ce qui pourrait l’arrêter, bien qu’il faille toujours parler avec prudence. Si les deux parties réalisent qu’aucun accord n’est possible d’ici au mois de mars 2019, personne ne sait ce qui pourrait se passer. En tout cas, une décision qui annulerait les résultats d’un référendum démocratique – même si le référendum sur le Brexit n’était que consultatif – semble difficilement être une perspective envisageable. Les négociateurs vont devoir faire preuve de beaucoup d’imagination puisque existe, de toute façon, l’échéance des élections au Parlement européen en mars 2019.
IJL. – Avez-vous le sentiment que Theresa May a changé de discours étant donné les attaques qu’elle subit quotidiennement des médias et des opposants ?
NF. – Non, je ne le pense pas. Les déclarations de Theresa May ne semblent pas indiquer un changement de position. Toutefois, elle n’a pas une grande visibilité sur le déroulement des événements et ne peut être certaine de la suite. Nous sommes dans un brouillard épais à ce sujet.
Les sondages donnent d’ailleurs les conservateurs en mauvaise posture et prévoient une remontée du parti travailliste. Ce dernier était plus favorable au « Remain », mais Jeremy Corbyn n’a pas mené une très bonne campagne.
Pour conclure sur l’éventuelle possibilité d’un retour en arrière des Britanniques concernant le Brexit, cela semble impensable car cela supposerait que les Européens acceptent de faire de nouvelles concessions. Et cela est inimaginable, ce serait presque un désastre alors que l’Union européenne tente de trouver un nouveau souffle.
IJL. – Pensez-vous que ce renouveau européen préfigure une évolution des relations avec la Russie, d’autant plus à la lumière des déclarations et des actions de Donald Trump ?
NF. – L’affaiblissement des liens traditionnels entre les États-Unis et l’Europe, s’il devait se confirmer, aura nécessairement des conséquences géopolitiques majeures. Par exemple, un rapprochement avec la Chine qui souhaite avoir un rôle mondial actif dans la protection de l’environnement. Cela inciterait d’ailleurs l’Union européenne à se tourner vers le géant chinois plutôt que vers le voisin russe, l’environnement étant un sujet majeur pour l’Europe et le monde. Nous avons tout intérêt à encourager la Chine et toute autre grande puissance à aller dans ce sens. Cela pourrait aussi permettre de régler certains différends commerciaux entre l’Union européenne et la Chine, par exemple au sujet des panneaux solaires.
Concernant la Russie, ce n’est pas un hasard si Emmanuel Macron a reçu Vladimir Poutine dans des conditions assez exceptionnelles pour ensuite lui adresser directement des critiques. L’image a été très forte en Russie et à travers le monde.
Il faut se rendre compte du changement sans précédent que provoque l’affaiblissement des relations bilatérales entre l’Union européenne et ses partenaires. Pour la première fois depuis la création de l’Union européenne, existe une volonté d’être ensemble et de gérer en commun notre destin. Cela est très encourageant.
Par ailleurs, la relation franco-allemande se présente, aujourd’hui, sous de meilleurs auspices qu’il n’y a quelques mois. Emmanuel Macron a nommé des personnes pro-européennes à des postes clés, notamment Philippe Étienne, germanophile, conseiller diplomatique du président de la République et ancien ambassadeur de France à Berlin. Des signaux très forts en faveur de l’Europe sont lancés, mais ce mouvement devra être accompagné, pour ne pas retomber. Sans préjuger de ce que fera Emmanuel Macron, avoir un président de la République qui prend ses fonctions sur l’hymne européen est une chose dont tous les pro-européens auraient rêvé et que l’on aurait cru impossible il y a encore quelques années. Aussi, je peux difficilement cacher mon optimisme concernant l’avenir de l’Union européenne !