« Il faut apprendre à faire de l’antiterrorisme préventif »

parXavier RAUFER, Criminologue, directeur des études du DRMCC de l’université Paris II-Panthéon-Assas
4 Mai 2015
Actualité

L’institut Jean Lecanuet a rencontré Xavier Raufer, criminologue.

Institut Jean Lecanuet. – Quelles sont désormais les plus grandes menaces qui pèsent sur l’Europe et sur la France ?

Xavier Raufer. – Traditionnellement, les menaces les plus graves sont celles que l’on n’a pas détectées, mais que l’on aurait dû déceler. Aujourd’hui, par exemple, en matière de terrorisme, les formes classiques et leurs organisations, comme l’ETA ou l’IRA auparavant, s’estompent. à l’heure actuelle, il n’existe plus une organisation terroriste active sur le sol européen. Le nombre d’attentats émanant de ces organisations est très faible. En 2013, dans toute l’Europe, en omettant la Corse et l’Irlande du Nord, sept attentats et tentatives d’attentat ont eu lieu pour 500 millions d’habitants. Ce chiffre est très faible. Depuis cinq ans, vingt-cinq pays sur les vingt-huit que compte l’Union européenne n’ont pas connu d’attentats.

En revanche, on ne parle pas assez du danger que représentent les contrefaçons de médicaments, les fausses pièces détachées de voiture, les faux aliments, etc. Ils font beaucoup de victimes et de dégâts. Certains de ces objets de consommation ou produits cosmétiques contrefaits peuvent être cancérigènes. Les cigarettes falsifiées le sont dix fois plus que les normales, déjà très mauvaises pour la santé.

Autre danger, les individus qui sont à mi-chemin entre le terrorisme et le criminel. Certains sont à la fois dans l’une et dans l’autre. En France ou dans les territoires proches, depuis 2012, tous les individus qui ont tué au nom du terrorisme – Mohamed Merah, Mehdi Nemmouche, en Belgique, les frères Kouachi, Amedi Coulibaly – ont été des criminels. Ils avaient commis des actes criminels graves, tels des vols à main armée, étaient liés au trafic de drogue, au racket, etc. De plus, ils étaient des fanatiques. La grande difficulté, c’est de reconnaître les hybrides. Ils sont à la fois dans une catégorie et dans une autre.

Les contrefaçons et les individus hybrides représentent deux grands périls criminels identifiés auxquels on ne s’intéresse pas assez.

IJL. – Quelles mesures les autorités peuvent-elles prendre pour renforcer la sécurité des citoyens, cibles potentielles ?

XR. – Nous sommes dans un monde où tout va très vite. Si l’on n’a pas un temps d’avance sur les bandits en étant sur place au moment où ils vont agir ou en mesure de leur tendre des embuscades, à chaque fois, il sera trop tard. Les sociétés françaises et européennes sont comme les gardiens de but au moment des penalties. Lorsqu’on se retrouve dans cette situation, il y a 9 chances sur 10 pour que le ballon aille à l’intérieur des cages. Cela ne doit pas arriver. Il faut alors anticiper et comprendre en observant ces individus dangereux, louches ou suspects, et les intercepter avant le passage à l’acte.

Cela pourrait être comparé à la médecine préventive, moins dangereuse pour la santé et moins coûteuse que la médecine curative. Il faut apprendre à faire de l’antiterrorisme préventif au lieu d’avoir à tuer des individus ou à les arrêter une fois des horreurs commises.

IJL. – Comment la situation géostratégique mondiale peut-elle avoir une influence aussi forte sur la sécurité en France ?

XR. – Ce qui fait l’Histoire de France, c’est en grande partie sa géographie. Notre pays se situe au milieu de l’Europe occidentale et, pendant des siècles, il était impossible de se rendre des îles britanniques à l’Italie sans passer par la France, de même de l’Espagne à l’Allemagne. La place centrale de la France dans l’Europe fait sa force, mais l’expose aussi à des risques. Finalement, en dehors des Alpes et du Rhin, nous n’avons pas vraiment de frontières.

De plus, aujourd’hui, il y a la mondialisation. On peut se rendre compte à quel point les phénomènes mondiaux nous affectent lorsqu’on se penche sur la situation dans les prisons françaises. La drogue que nous consommons n’est pas fabriquée, pour sa grande majorité, en France, tout comme les faux médicaments. Il existe donc également une mondialisation du crime et du terrorisme. On observe bien la circulation des individus dangereux entre le Moyen-Orient et l’Europe. Cette mondialisation révèle une face noire dont il faut se protéger.

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