"Il faut expliquer l’Europe au citoyen et faire preuve de pédagogie"

parNicole FONTAINE, avocate, ancienne présidente du Parlement européen, ancien ministre
3 Octobre 2016
Actualité

Construction européenne, conséquences économiques, agenda de l'Union... Nicole Fontaine, ancienne présidente du Parlement européen, partage son analyse et ses souhaits quant au futur de l'Union européenne.

Institut Jean Lecanuet. La Commission européenne a-t-elle déjà un plan pour la suite de l’Union européenne à 27 ou l’orientation de la construction européenne dépendra-telle du statut qu’obtiendra le Royaume-Uni au terme de la procédure de sortie de l’UE ?

Nicole Fontaine. – Avant toute chose, il semble important d’évoquer un possible effet domino de la décision britannique, y compris sur des pays comme les Pays-Bas ou le Danemark. Ce risque de contagion semble inquiéter l’Allemagne.

La France n’est pas non plus à l’abri d’un tel risque. Selon les résultats du sondage TNS Sofres-One point du 28 juin 2016, 45 % des Français seraient favorables au maintien de notre pays au sein de l’Union européenne, 33 % seraient favorables à une sortie de l’UE, tandis que 22 % se déclarent indécis. Ce résultat n’est pas aussi favorable qu’il n’y paraît à première vue.

Toutefois, le désarroi des Britanniques tend à atténuer ce risque. Dès l’annonce des résultats, des pétitions demandant un second référendum ont été lancées et ont récolté plus de 3 millions de signatures en une semaine, bien qu’un second référendum soit impensable. De plus, les partisans du Brexit semblent presque embarrassés de leur victoire. Boris Johnson, ancien maire de Londres, a été mis à l’écart avant de démissionner. Il laisse sa place de favori à Theresa May, ministre de l’Intérieur qui semble politiquement plus habile et flexible. Quant à Nigel Farrage, leader du parti UKIP (UK Independence Party), il a également rendu les armes en quittant son poste.

Concernant l’avenir commun de l’Union européenne avec les Britanniques, rien n’est encore fait. Ces derniers ont des fonctionnaires et des députés européens en poste qui ne partiront qu’après l’activation de l’article 50 du traité sur l’Union européenne et la conclusion définitive du "divorce". En effet, les États membres disposeront d’un délai de deux ans pour trouver un accord, avec la possibilité d’une année supplémentaire. C’est d’ailleurs à cause de ce délai limité que, dans l’immédiat, les Anglais ont tout intérêt à gagner le plus de temps possible en retardant l’activation de l’article 50, tandis que l’Union européenne tient, au contraire, à accélérer la procédure. Il faut savoir aussi que, dans l’éventualité où le délai ne serait pas suffisant pour trouver un accord, le Royaume-Uni sortirait purement et simplement de l’UE, sans aucun avantage, ni aucune porte d’entrée sur le marché commun. Les accords commerciaux entre le Royaume-Uni et l’Union européenne représentent aujourd’hui 80 000 pages, qu’il va falloir renégocier, une à une. C’est un réel défi juridique !

On peut cependant se réjouir, politiquement et juridiquement, que les bénéfices concédés au Royaume-Uni dans le compromis de février soient devenus obsolètes. Le Royaume-Uni avait notamment obtenu un droit de regard sur le fonctionnement de la zone euro. Ce droit aurait permis aux Britanniques de retarder les pays de cette zone dans leur intégration, alors même que chacun admet qu’il est indispensable de la faire progresser.

Si la procédure de sortie de l’Union aboutit, trois statuts sont possibles quant à la nature des relations à venir avec le Royaume-Uni. Le plus probable est un statut identique à celui de la Norvège, du Lichtenstein et de l’Islande : un accès intégral au marché unique avec, en contrepartie, la libre circulation des biens et des personnes sur le territoire en question, mais sans aucune représentation au sein des institutions européennes.

IJL. Devant l’ampleur de la tâche, l’Union européenne pourra-t-elle se repenser ou sera-t-elle toute dédiée à négocier les termes du Brexit ?

NF. – Repenser l’Europe est la question de fond. Le président François Hollande a, d’ailleurs, appelé à un « sursaut européen ». C’est un signe encourageant. L’Union européenne est de nouveau un sujet de discussion et d’intérêt alors que c’est un thème qui avait tendance à être effacé des agendas politiques. La réunion des 6 pays fondateurs a été également une initiative positive car il était important que les pays à l’origine de l’Union européenne se réunissent immédiatement après ce vote décisif, pour marquer leur unité.

Enfin, la réunion de l’Allemagne, de la France et de l’Italie est également très positive car elle a permis de dégager des priorités communes : le renforcement des frontières extérieures, la relance de la croissance, un projet fédérateur pour les jeunes...

L’implication des jeunes est très importante. Une partie de la jeunesse a envie de participer au débat européen et de se réapproprier l’Europe. Le traité de Lisbonne, adopté par la voie parlementaire après l’échec du référendum, a été un événement mal vécu par elle ; il  reste gravé comme un déni de démocratie.

Enfin, lors de la réunion de la France, de l’Allemagne et de l’Italie, le terme d’harmonisation fiscale a été officiellement prononcé. C’est un chantier très complexe, mais il est important d’en parler car il doit se concrétiser. à cet égard, la récente annonce par le chancelier du Trésor britannique, Georges Osborne, de vouloir diminuer le taux d’imposition sur les sociétés pourrait inciter les pays européens à harmoniser leur fiscalité.

Le problème de fond du projet européen est cependant très compliqué. Il est indispensable de faire comprendre aux citoyens européens que nous devons poursuivre l’intégration européenne, surtout dans certains domaines clés. Mais alors que ce défi s’impose à l’Europe, partout s’élèvent des voix affirmant qu’il faut, au contraire, ralentir, voire déconstruire, l’intégration européenne. Une telle orientation conduirait à un retour à une Union européenne intergouvernementale plus proche d’une association d’états conservant leur souveraineté que d’une communauté. Faire comprendre aux citoyens la nécessité de transférer à l’Union certaines de nos souverainetés nationales pour qu’elle soit plus efficace est un véritable défi.

IJL. –​ L’Europe peut-elle s’imposer comme un thème de campagne central pour l’élection présidentielle française ?

NF. – Oui, très certainement, c’est une question qui ne pourra pas être ignorée. Il est probable que si le Brexit n’avait pas eu lieu, beaucoup de candidats auraient soigneusement évité le sujet, comme cela a pu être le cas lors de la dernière élection présidentielle, en 2012. Aujourd’hui, le sujet est sur la table et les candidats ne pourront pas le cacher sous le tapis.

J’admets ne pas comprendre certains arguments avancés par les eurosceptiques. Certains demandent la réattribution aux États membres de compétences transférées à la Commission européenne. De quelles compétences parlent-ils précisément ? L’harmonisation et la normalisation sont nécessaires pour le bon fonctionnement du marché unique et cela demande nécessairement un transfert de compétences.

Les pro-européens doivent adopter une position politique offensive. Il faut expliquer l’Europe au citoyen et faire preuve de pédagogie. Lors de la campagne concernant le traité de constitution européenne, les parties prenantes ont impliqué les citoyens en menant des débats éclairés et intéressants. On parlait alors d’Union européenne même si le résultat n’a pas été au rendez-vous.

IJL. –​ Est-il probable que des régions comme l’Ecosse ou l’Irlande du Nord réclament leur indépendance alors même que le Royaume-Uni serait en train de négocier les termes de sa sortie ?

NF. – Cela serait très compliqué car l’Espagne fera barrage autant qu’elle peut. L’Écosse a engagé, de façon non officielle, des discussions avec l’UE car elle souhaite garder un statut proche de l’Europe. Mais quoi qu’il arrive, l’Espagne est sur le qui-vive car elle ne voudrait pas que la Catalogne puisse revendiquer un statut équivalent. Si cela arrivait, il y aurait un risque réel de contagion vers d’autres régions et donc un risque de détricotage de la construction européenne. Pour autant, nous ne pouvons pas ignorer le souhait des Écossais de rester au sein de l’Union.

Les chantiers qui nous attendent sont immenses. Mais avant de pouvoir espérer un débat de fond sur l’Union, il faut informer les citoyens de la réalité des enjeux. Il pourrait être intéressant que les pro-européens en France s’unissent pour se lancer dans une grande campagne d’explication. Beaucoup de citoyens ne comprennent pas la mécanique européenne et on entend de très nombreuses contrevérités sur les avantages ou les inconvénients offerts par l’Union européenne.

Une fois cette campagne de pédagogie réalisée, on pourrait alors réfléchir à une nouvelle architecture européenne. Par exemple, et même en dehors de l’intégration de la zone euro, construisons une Europe par strates avec une intégration plus poussée dans certains domaines et moins dans d’autres ; une Europe à plusieurs vitesses dans des domaines bien ciblés. 

En conclusion, j’évoquerais les conséquences économiques du Brexit. La livre a chuté, cela est certain et traduit une défiance réelle. Toutefois, la chute de la livre rend les exportations anglaises plus compétitives. Nous ne savons donc toujours pas si la City en tant que place boursière européenne est menacée et nous ne savons pas, non plus, si des délocalisations d’entreprises vont avoir lieu.

Aujourd’hui, étant donné le climat d’incertitude générale qui règne, personne ne peut faire de prévisions économiques sérieuses. On ne peut en aucun cas imaginer une rupture pure et simple des relations entre l’Union européenne et le Royaume-Uni. D’autant que le Royaume-Uni représente la deuxième économie de l’UE. Il faut donc travailler avec les Britanniques à trouver la meilleure solution de sortie.

Mais en perdant son statut de membre, le Royaume-Uni ne pourra plus empêcher l’UE d’avancer. Politique industrielle commune, politique énergétique commune, politique d’asile commune, politique extérieure commune, politique sociale commune, harmonisation fiscale... L’Europe politique est malheureusement encore balbutiante. De nombreux chantiers nous attendent si nous voulons réconcilier l’Union européenne avec ses citoyens.

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