20e anniversaire de la disparition de Alain Poher
Discours d'ouverture de l'exposition en hommage à Alain Poher, ancien président du Sénat, prononcé par Gérard Larcher, à l'occasion du 20e anniversaire de sa disparition.
Monsieur le Ministre, président d’honneur de l’Institut Alain Poher,
Cher Daniel Hoeffel,
Mes chers collègues,
Monsieur le Maire d’Ablon-sur-Seine,
Monsieur le Président de l’Institut Alain Poher,
Mesdames, Messieurs les élus du conseil municipal d’Ablon-sur-Seine,
Monsieur le Secrétaire général,
Mesdames, Messieurs les Directeurs,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux d’être parmi vous aujourd’hui pour accueillir au Sénat, salle René Coty, l’exposition consacrée à Alain Poher que nous avons inaugurée le 9 décembre dernier, à Ablon.
Ces panneaux sont autant de témoins des différents événements qui jalonnèrent sa brillante carrière. Chacune de nos vies est marquée par quelques dates fatidiques. Pour Alain Poher, la date du 2 octobre 1968 sera de celles-là. Ce 2 octobre 1968, alors qu’allait se dérouler l’élection du futur président du Sénat, Alain Poher pouvait-il imaginer qu’il serait celui-là ? Pouvait-il penser quelques mois plus tard, après le départ du général de Gaulle, qu’il assurerait l’intérim de la présidence de la République et serait candidat à l’élection présidentielle ?
Dès lors, la destinée de celui qui sera l’un des plus illustres présidents du Sénat s’inscrira dans une autre dimension : Alain Poher entrera dans l’Histoire. Cette destinée hors du commun a été façonnée au cours du temps.
Lui, le jeune ingénieur de l’École des mines qui arpentait le jardin du Luxembourg,
Lui, le soldat, le résistant,
Lui, le maire d’Ablon,
Lui, le conseiller de Robert Schuman,
Lui, le sénateur, le président du groupe MRP au Sénat,
Lui, le secrétaire d’État au Budget, puis à la Marine,
Lui, le président du Parlement européen,
Sera élu président du Sénat ce 2 octobre 1968, à l’issue d’un troisième tour de scrutin et deviendra ainsi le deuxième personnage de l’État dans l’ordre constitutionnel, après le président de la République, Charles de Gaulle.
Quelques jours plus tard, Alain Poher prononce son premier discours comme président du Sénat et déclare : « Je suis un homme d’union et de conciliation. Élu à la suite d’une bataille que je n’ai ni voulue ni cherchée, je suis aujourd’hui le président de tous. Je ne suis ni un président de combat ni un président de liquidation. Je suis tout simplement le président du Sénat de la République. »
Dès son élection, il est l’homme du dialogue avec l’exécutif. Il met en exergue l’utilité de la Haute Assemblée et veut redorer son image. Dès lors, il défend sans cesse le bicamérisme et démontre les imperfections du monocamérisme. Il dit : « La nécessité d’une deuxième chambre législative en France apparaît clairement si l’on sait que tous les pays authentiquement démocratiques, socialement développés, ont un régime bicaméral dès lors que leur superficie et leur population dépassent un certain seuil que notre pays a franchi depuis longtemps. » Avec la mise en œuvre de ce dialogue avec l’exécutif, les relations se normalisent et les ministres sont de plus en plus présents au Sénat.
Alain Poher ne s’oppose pas à la régionalisation, mais refuse le projet gouvernemental qui comporte une seule réponse à plusieurs questions différentes, c’est un non tourné vers l’avenir, un non de réformateur qu’il prononcera alors.
Après la démission du général de Gaulle, Alain Poher devient président de la République par intérim. Quelques jours plus tard, ce dernier annonce sa candidature à l’élection présidentielle, l’« homme rond », que personne n’attendait, transforme son cabinet de la présidence du Sénat en équipe de campagne présidentielle. Il se dote d’un corps de doctrine sur les grands sujets d’actualité : la liberté, l’Europe et la justice sociale.
Après avoir réalisé un score honorable, Alain Poher conservera cette volonté de se battre, il redeviendra président du Sénat et se servira de ce corps de doctrine pour faire que la Haute Assemblée marque comme jamais de son empreinte les lois de la République.
Après l’élection de Georges Pompidou, Alain Poher restera cet homme de dialogue qu’il n’a jamais de cessé d’être en rétablissant de bonnes relations tant avec le gouvernement qu’avec l’Assemblée nationale. Ces excellents rapports n’empêcheront pas le Sénat de s’affirmer lors de la discussion de la loi de 1971 remettant en cause la liberté d’association. Après trois rejets consécutifs au Sénat après trois lectures et son adoption par l’Assemblée, Alain Poher saisit le Conseil constitutionnel qui lui donne gain de cause. La Haute Assemblée affirme alors son rôle primordial de protectrice des libertés fondamentales.
Sous l’impulsion de son président, le Sénat crée, en 1973, une commission de contrôle des écoutes téléphoniques, présidée par Pierre Marcilhacy et René Monory. Le rapport de la commission de contrôle du Sénat propose de reconnaître au parquet le droit d’autoriser des écoutes. Ce rapport sera à l’origine de la loi du 10 juillet 1991 sur les écoutes téléphoniques.
La liberté et l’Europe resteront sans cesse au cœur de l’action du président du Sénat. Alain Poher profite de son second intérim pour ratifier la Convention européenne des droits de l’homme. Il vient symboliquement en témoigner lors des 25 ans du Conseil de l’Europe. Comme après la fin de son premier intérim, il regagne l’hémicycle de la Haute Assemblée sous un tonnerre d’applaudissements.
Après l’élection de Valéry Giscard d’Estaing, bien que l’Assemblée nationale et le Sénat soient sur la même longueur d’onde, ce dernier n’en continue pas moins à affirmer son attachement aux libertés.
En 1977 s’engage au Sénat la discussion en première lecture du projet de loi relatif à l’informatique et aux libertés, auparavant s’était déroulé un colloque organisé par l’Association des libertés présidée par Alain Poher et Henri Caillavet sur le thème « Informatique et liberté ».
Dans son rapport, rédigé au nom de la commission des lois, le Sénat propose de mettre en place un garde-fou contre les abus de l’informatique mal maîtrisée, qui sera à l’origine de la création de la CNIL.
Après l’élection de François Mitterrand, le Sénat réaffirme ses positions face au gouvernement. Les droits de l’homme et la liberté seront de nouveau au cœur de son combat. Le Sénat adopte le projet de loi concernant l’abolition de la peine de mort par 161 voix contre 126. Le Sénat défend la liberté de l’enseignement et parvient, en 1984, en utilisant les armes que lui donne la Constitution, à faire reculer le gouvernement sur la « loi Savary ».
Alain Poher soutiendra tout au long de ces années les grandes étapes de la construction européenne. L’Europe l’a toujours passionné, il déclare : « J’ai toujours travaillé pour l’Europe, elle sera ce que nous serons. Nous devons y travailler comme des artisans, au jour le jour et à tous les niveaux. »
Alain Poher fit du Sénat une institution toujours en mouvement sachant se réformer et c’est ce que nous nous sommes engagés à faire au cours de ces dernières années.
En 1989, il lance une réforme dont l’objet est de « remobiliser les sénateurs », notamment en rationalisant les méthodes de travail du Sénat.
Le cœur de la réforme sur laquelle j’ai eu l’honneur de travailler avec Henri de Raincourt et Guy Allouche avait pour objectif, sans jamais retirer à la séance publique le rôle décisif d’approbation ou de rejet, de renforcer le rôle législatif des commissions. Cette instauration s’accompagna de mesures destinées à garantir la publicité des travaux des commissions.
Le président du Sénat que je suis et qui eut l’honneur de le connaître sait ce que la Haute Assemblée doit à Alain Poher, elle lui doit son existence même, elle lui doit son rayonnement !
Alain Poher déclare en 1985 : « D’un Sénat méprisé qu’on voulait supprimer, j’ai fait une assemblée restaurée pesant son poids dans la vie politique de notre pays. »
C’est cet héritage qu’il nous revient de faire vivre. Nous devrons dans les années qui viennent reprendre le combat de Alain Poher en garantissant la survie même de notre Haute Assemblée. Nous aurons alors à montrer le même courage dont il sut faire preuve tout au long de sa présidence, à l’image de son glorieux prédécesseur, Gaston Monnerville.
Nous étions, il y a quelques jours, à Ablon, là où tout a commencé, cette terre ablonnaise où il est né et où il repose depuis vingt ans. Aujourd’hui, nous lui rendons le plus vibrant hommage en ce lieu, le Sénat, qu’il sut personnifier mieux que quiconque et qu’il continue à jamais d’habiter de sa présence !