Les vrais coupables de la mort de l’Ena
Malgré les nombreux recours qui lui étaient parvenus depuis des mois, Emmanuel Macron aura donc refusé sa grâce à l’École nationale d’administration (Ena).
Plus qu’à une grande école de formation des hauts fonctionnaires, c’est à un symbole considérable de la Ve République qu’il a été mis fin le 8 avril dernier. Sa mort est paradoxale. D’un côté, elle aura été une fabrique extraordinaire d’hommes et de femmes d’État, un incubateur de talents et d’intelligences connus et jalousés dans le monde entier ; de l’autre, elle n’a pas su s’extraire d’un entre-soi de plus en plus nocif. Emmanuel Macron a décidé la mort de l’Ena, mais d’un certain point de vue celle-ci était déjà condamnée par l’évolution de la société et ses conservatismes. Protégée par l’influence de quelques anciens et puissants élèves plus attachés à leurs CV à eux qu’à l’avenir de leurs jeunes camarades, elle était restée une école du XXe siècle, engoncée dans ses traditions, très peu tournée vers les territoires malgré son déménagement à Strasbourg, très peu internationale et toujours aussi peu démocratique dans son recrutement. C’est sur ce dernier point que Emmanuel Macron a axé son réquisitoire alors que, précisément, c’est peut-être le grief dont elle est la moins responsable. Il suffit de regarder le classement PISA pour constater que l’inégalité sociale dans les résultats scolaires ne commence pas au concours d’entrée de l’Ena. Non, c’est de l’absence de vision et de projet qu’est morte l’Ena. En fait, aux premières années du nouveau siècle, il lui aura manqué un Richard Descoings – directeur et transformateur de Sciences-Po – pour engager la mue qui lui aurait évité cette fin tragique. Emmanuel Macron n’a pas faibli et a eu raison. Le seul fait qu’il ne soit pas trouvé au sein des anciens élèves de l’Ena une majorité pour comprendre à quel point leur école était en train de se couper de la France et du monde et pour réagir à temps suffit à justifier la décision du président de la République. Saluée par beaucoup de Français qui ne supportaient plus le conformisme et parfois la morgue de ses diplômés, sa disparition ne fera pas grand bruit non plus chez les meilleurs de nos étudiants. Ils étaient déjà nombreux à s’être détournés de l’Ena pour prendre le chemin des grandes universités anglo-saxonnes, de nos business schools comme HEC ou l’INSEAD, et même de Sciences-Po qui, en passant son cursus de 3 à 5 ans, a su se débarrasser de l’emprise de ce grand-frère si pesant et tracé sa propre route. Il est juste dommage d’avoir dû attendre le mouvement des gilets jaunes pour comprendre tout cela et, enfin, imaginer de nouvelles formations et voies d’accès à la haute fonction publique. Espérons que e nouvel Institut national du service public, dont l'ouverture est prévu pour 2020, saura incarner ce renouveau.