Déplacés climatiques, l'urgence

France Forum, n° 71, décembre 2018

Revue France Forum

Si la question  des déplacés climatiques s’inscrit dans une évidente actualité scientifique et sociétale, elle renvoie aussi à des traditions et croyances millénaristes enfouies au plus profond de chacun.

Sans doute n’avons-nous encore rien vu de ce que le dérèglement climatique nous promet. Néanmoins, une impression de déjà vu surgit dès que sont diffusées ces images de hordes humaines fuyant des sols asséchés, des océans en furie, des pluies diluviennes. « Car, encore sept jours, et je ferai pleuvoir sur la terre quarante jours et quarante nuits, et j’exterminerai de la terre tous les êtres que j’ai faits », dit la Genèse. Appuyé ou non sur une réalité physique (on cherche toujours sur le mont ararat des vestiges de l’arche de noé), le mythe du déluge, présent dans presque toutes les civilisations, indique bien la fragilité des sociétés, anciennes comme contemporaines, face aux catastrophes. et l’exode ? Comment Moïse a-t-il pu écarter de sa main la mer Rouge pour faire passer son peuple en fuite ? Des chercheurs américains de l’université du Colorado contestent aujourd’hui la thèse du tsunami et soutiennent l’hypothèse de vents d’une puissance inouïe ayant soufflé toute la nuit sur le delta du Nil.

Relayé par les plus récentes technologies de datation et d’exploration terrestre et sous-marine, l’homme n’a de cesse de placer une réalité climatique sur chaque
grand mythe civilisationnel. On souhaiterait même parfois qu’il montrât autant d’énergie à protéger les dizaines d’îles menacées de submersion, à court ou moyen terme, par les effets du changement climatique qu’à retrouver les traces des cités perdues qui reposent avec leurs trésors au large de nos côtes : l’Atlantide, engloutie, selon Platon, par un raz de marée immense, l’île d’Avalon, dernier refuge du roi Arthur, Ys qui brille toujours de mille feux au fond des eaux de la baie de Douarnenez.

L’histoire comme un éternel recommencement. l’histoire comme un éternel déracinement. Le récit immuable et tragique de déplacements containts et de retours espérés sur la terre des ancêtres. et, chaque fois comme constantes, l’inquiétude, le danger, la peur. On prévoit presque un milliard de déplacés climatiques d’ici à quelques décennies. la mondialisation est source de mobilité heureuse comme de mobilité malheureuse. La génération Erasmus d’un côté, la génération Aquarius de l’autre. Et pourtant, ce patrimoine spirituel des mythes des grandes catastrophes, commun à toutes les religions et croyances, devrait conduire à plus de solidarité. Offrir un vrai statut aux déplacés climatiques, mettre réellement en oeuvre l’accord de Paris, comprendre le lien entre crise climatique et crise politique pour commencer. Si les avancées en termes de prise de conscience des États sont réelles, elles restent insuffisantes. Ainsi, à la fin de l’année, l’organisation des Nations unies approuvera deux textes, le premier sur les réfugiés, le second pour « des migrations sûres, ordonnées et régulières », qui n’auront pas de force obligatoire et resterons donc au bon vouloir des États membres.

Le climat n’a pas de frontières et, comme autrefois la place du pauvre était réservée à la table familiale, il convient aujourd’hui de garder une place pour le déplacé climatique. Par humanité, mais aussi parce que personne n’est à l’abri de devoir, un jour, quitter son lieu de vie pour se réinstaller ailleurs.

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