Addiction générale, de Isabelle Sorente
Articles de la revue France Forum
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Comment trouver un espace de confort entre le rythme effréné qu’imposent les calculs permanents et la temporalité du « moi » que chacun cherche à construire ? Alors que les chiffres et les calculs savants imposent une vérité scientifique et statistique, quelle place donner à l’humain dans l’interprétation de la société et de nous-mêmes ? Selon Isabelle Sorente, la tâche n’est pas aisée : la société moderne a développé une addiction aux chiffres qui tend à réduire l’humain et ses activités à ce que l’on peut en mesurer. La vérité scientifique a pris le pas sur l’empirie. En découle une position inconfortable pour l’individu : appelé à se construire lui-même selon une multitude de variables, il ne peut pourtant accepter comme vrai que ce qui l’est scientifiquement. Cette construction abstraite de la vérité, couplée à l’élargissement mondial des systèmes, tend à éloigner les personnes les unes des autres. Autrui devient un chiffre parmi d’autres, un facteur à prendre en compte dans nos propres calculs. Il devient de plus en plus difficile de le considérer comme un autre moi, ce qui renforce d’autant notre appétence pour les vérités calculées, abstraites et indépendantes du facteur humain trop risqué. Pour Isabelle Sorente, cette disparition de l’humain dans les calculs, ainsi que la légitimité qui leur est accordée dans l’interprétation de la réalité, est une des causes des dangers à venir dans nos sociétés du chiffre.
Le potentiel de toutes ces données tend à nous aveugler et à réduire le réel à ce que l’on peut mesurer, traiter, calculer et analyser. L’humain, facteur de risque et de hasard, devient la variable indésirable de l’équation. Dès lors, comment l’humain, l’individu, peut-il reconquérir l’espace que les calculs se sont appropriés ? Cet ouvrage se propose d’y réfléchir en explorant l’addiction, la liberté, la raison, la compassion ou encore l’éthique sous le prisme de la cohabitation avec l’hégémonie du calcul. L’homme est un animal qui se veut machine, mais tout comme l’on se refuse à répondre à nos instincts les plus basiques, il ne faut pas céder tout entier au charme du tout calculé. Il faudrait plutôt redévelopper une compassion, une amitié-amour au sens platonicien, pour mieux ré-humaniser nos comportements et nos aspirations et ainsi permettre le « vivre ensemble » à l’heure du « tout-numérique ».
JC Lattès, « Essais et documents », 2011 – 17 €