Le monde d'après III

France Forum, n° 79, novembre 2020

Revue France Forum

Dans cette troisième et dernière livraison consacrée à la crise engendrée par l’épidémie de Covid-19, la communauté d’auteurs de France Forum finit de livrer ses réflexions sur les turbulences que le monde traverse depuis plusieurs mois.

En 1986, quand Ulrich Beck évoque la société du risque, il pense aussi perspective et nouvelles libertés. Où sont-elles, aujourd’hui, ces perspectives dans ce ciel si chargé ? Peut-être dans la résilience et la volonté dont beaucoup d’États – et leur population – ont fait preuve. Solidarité, humanisme, proximité n’ont pas été de vains mots dans les hôpitaux ou les écoles, il est vrai. Emmanuel Macron a même parlé d’une nation retrouvée en lieu et place de la société des individus de l’avant Covid-19. Certains douteront pourtant de cet optimisme et y verront de la naïveté, voire de la démagogie.

« Au sein de la société française, comme dans l’ensemble des sociétés occidentales, des divisions profondes sont apparues », relève Henri Lepecheux. Au reste, sortira-t-on indemne de ces mois à se dissimuler derrière un masque, ces mois à se méfier de l’autre, ces mois à tolérer le rétrécissement des libertés publiques ? Du terrorisme à la Covid, les vingt premières années du XXIe siècle resteront certainement comme celles de la naissance du capitalisme de surveillance (ou de protection, c’est selon).

La crise ne fait pas que des malheureux. Ainsi du crime numérique qui ne s’est jamais aussi bien porté. Attaques virales, hameçonnages, rançonnages inondent la Toile. Société de menaces et surtout de cybermenaces. L’accroissement des malveillances dépasserait les 30 000 % au cours des derniers mois. Le télétravail est devenu du pain béni pour les hackers et ce, d’autant plus que « les directions générales abaissent leur niveau de vigilance focalisées sur un risque majeur : la survie », écrit noël Pons. Autres gagnants de la crise : les Gafam, bien sûr. « La pandémie de Covid-19 constitue une incontestable aubaine pour les grandes plates-formes numériques. Ce sont elles qui, pendant la crise, ont assuré les connexions entre pays, individus et organisations », confirme Julien Nocetti. Il est certain qu’il est devenu très difficile de se passer des géants du numérique dans la vie de tous les jours. Les Gafam sont-ils des solutions ou des problèmes pour les sociétés ? Le débat n’est pas près d’être tranché et ce ne sont pas les actes de contrition de leurs patrons superstars comme Mark Zuckerberg ou Jeff Bezos qui feront changer d’avis leurs détracteurs.

Beaucoup de bruit pour rien, disent certains observateurs de la Covid. La grande peste du XVIIe siècle avait décimé la moitié de l’Europe. La grippe espagnole a fait plus de morts que la Première Guerre mondiale. « En termes statistiques, l’épidémie n’aura pratiquement aucun effet sur la tranche d’âge active des pays industrialisés », abonde l’écrivain Henri Lepécheux. Sur la tranche active sans doute, mais pas sur ses comportements et ses pratiques. Pour l’entreprise, pour l’éducation, pour l’alimentation, il y aura bien un avant et un après Covid. L’Éducation nationale a connu un virage numérique que, même avec des années de formation, elle n’aurait jamais pu prendre. « Le numérique est vite apparu comme essentiel alors que l’intérêt qui lui est porté au sein des institutions éducatives françaises est fluctuant depuis toujours, faible ces dernières années et rarement à la hauteur de ses enjeux véritables. […] Contrainte de s’extraire des unités de lieu, de temps et d’action qui la caractérisent, l’école a dû se réinventer dans ce qu’elle a de plus fondamental », constate avec une grande justesse Jean-François Cerisier. Et que dire de l’entreprise et autres organisations dont le management est bouleversé par le télétravail et par l’entrée dans l’ère des incertitudes menacées. Nous revoilà plongés dans le travail de Beck. La société actuelle se rapproche de plus en plus d’un avion qui a décollé, mais qui n’a pas encore de piste pour atterrir. Finira-t-il par se poser en douceur, malgré l’orage et les secousses ? C’est évidemment tout ce que l’on peut espérer.

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