Le retour de l’humain ?
Articles de la revue France Forum
Une simple parenthèse dans la longue histoire des hommes.
En exposant la fragilité physique de l’homme, sans mentionner sa peur face à la mort dont il avait voulu s’abstraire, le virus incite à reprendre langue avec la dimension éthique et métaphysique de l’existence. Cela suppose un retour aux fondamentaux : nombre, temps, espace.
À l’approche des 9 milliards d’humains, l’accumulation des hommes sur des surfaces contraintes est devenue problématique. Voilà qu’une épidémie fait revenir au premier plan le rôle de la démographie. Les données démographiques vont connaître une correction importante, une fois le bilan des victimes consolidé. Qu’il tourne autour de 1 million de morts (prévision basse) ou de 2 millions ou plus, l’effet de la crise sanitaire apparaîtra toujours trop élevé pour les proches des victimes. Il est, cependant, probable qu’il sera assez vite considéré comme négligeable sur le plan quantitatif, comme est devenu fugace le souvenir de la grippe de 1968, sans compter l’âge avancé de la grande majorité des victimes1. En termes statistiques, l’épidémie n’aura pratiquement aucun effet sur la tranche d’âge active des pays industrialisés. L’Afrique, contrairement aux prédictions apocalyptiques, ne semble pas touchée de façon significative. Elle traversera peut-être cette crise sans dommages réels. Elle n’a pas tardé, en tout état de cause, à dénoncer l’« inconscient colonial » en découvrant que des analyses spéculaient sur l’écroulement de « régimes à bout de souffle » ou une prolifération incontrôlable de l’épidémie, alors même qu’il y avait plus de décès à New York en avril que sur l’ensemble du continent africain en cinq mois. Cela a provoqué un légitime sursaut d’orgueil qu’il faudra gérer politiquement.
Le vieux et le nouveau monde ont donc découvert qu’ils étaient (à nouveau) mortels, comme Paul Valéry l’avait proclamé il y a un siècle, et la prise de conscience du caractère précaire de leur système symbolique affectera...
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1. Thèse défendue par André Comte-Sponville, philosophe.