Contrairement à ce qu’on aurait pu imaginer, l’augmentation du nombre d’états depuis 1945 (un quadruplement lié à la dislocation progressive des empires) et la conjugaison plus fine entre culture et Etat n’ont pas fait disparaître les persécutions religieuses de l’histoire humaine. Il existe toujours, dans de multiples lieux, des minorités religieuses et des coexistences difficiles, voire impossibles, entre peuples. Le fait que la démocratie n’a pas réussi à s’imposer suffisamment dans le monde n’est pas non plus étranger à ce constat. Si les démocraties vivent des cohabitations religieuses compliquées, elles ne persécutent pas, à l’exception peut-être de l’Inde. Une démocratie n’a pas vocation à opprimer les croyants alors qu’un système totalitaire et autoritaire tend par nature à persécuter. Soit que le pouvoir en place est fondé sur la religion et ne tolère pas l’existence d’une autre religion, soit qu’il est fondé sur un système idéologique et considère la religion comme un concurrent. Dans le premier cas, se trouve une grande partie des Etats où l’islam impose sa loi et, dans le second, des pays comme la Chine ou la Corée du Nord gouvernés par le parti communiste. Dans l’ensemble de ces pays, la liberté de croyance peine à exister quand elle n’est pas interdite.
France Forum revient, bien sûr, sur la situation des chrétiens d’Orient, les attentats dont ils sont victimes à intervalles réguliers rappelant leur fragile situation et les compromis qu’ils doivent accepter juste pour avoir le droit de croire. La France, protectrice depuis 1536 des chrétiens d’Orient, peine à assumer cette tâche même si elle continue de défendre cette cause dans toutes les instances internationales et notamment à l’Onu. Au reste, la situation des chrétiens est également critique en Chine, au Pakistan ou au Sri Lanka. Dans ce vaste panorama des persécutions religieuses, l’islam pose évidemment une question particulière, qu’il soit persécuteur ou persécuté, à cause de la confusion entre temporel et spirituel que cette religion entretient et développe. En Inde, en Birmanie, au Sri Lanka, en Russie, en Chine avec les Ouïghours, l’islam est persécuté. Au Moyen-Orient, au Pakistan et en Afrique de l’Ouest avec le djihadisme, il est persécuteur.
Dans les démocraties occidentales, deux sujets liés au religieux pèsent sur la cohésion sociale : l’antisémitisme et l’islam. Le premier, comme une tache que l’on nettoie régulièrement mais qui revient toujours, ne veut pas disparaître. Le second, du fait des attentats terroristes et des phénomènes de radicalisation, est une plaie à vif, en particulier pour la France, république laïque. L’islam est la religion des catégories défavorisées alors que la majorité de la population, plus riche, est de moins en moins pratiquante. En dehors des Etats-Unis, la religion occupe une place de moins en moins importante dans la vie des habitants des démocraties occidentales ; 20 % en France ou au Japon et à peine plus au Canada ou en Australie indique une enquête du think tank américain Pew Research Center. À l’inverse, des pays pauvres comme le Sénégal ou le Ghana ont des taux de 100 % de croyants. De même que Boris Vian disait que, si tous les hommes mouraient à la guerre, il n’y aurait plus de guerres, la fin des religions par l’élévation générale du produit intérieur brut par habitant n’est-elle pas la solution la plus efficace aux persécutions religieuses ?
En attendant ce jour (ou en le redoutant, c’est au choix de chacun), Xavier Guézou se demande si la meilleure arme contre les persécutions n’est pas l’étude des religions dans un « dialogue avec l’histoire et avec les sciences ». Et de rappeler utilement que « les religions ne sont pas de purs concepts et dépendent de la façon dont les hommes et les femmes les incarnent ». Enfin, Emmanuel Dupuy et Alexandre Fontana font remarquer que, si la religion porte en elle intolérance et persécution, elle est au moins tout autant un vecteur de réconciliation et de paix.