Turquie, de Atatürk à Erdogan

France Forum, n° 76, avril 2020

Revue France Forum

La Turquie, immense civilisation dont les héros se nomment attila, Tamerlan, Soliman le Magnifique ou Atatürk, est une source inépuisable d’interrogations.

Est-elle encore réellement dans l’Otan ? Inspire-t-elle méfiance ou désir dans les pays arabes ? Est-elle avec ou contre la Russie ? L’adhésion à l’Union européenne est-elle toujours un horizon possible ? Recep Tayyip Erdogan est-il l’héritier ou le fossoyeur de Atatürk ? Existe-t-il une issue pacifique à la question kurde ? L’accueil des immigrés syriens est-il générosité ou pur opportunisme ? Et, bien sûr, la Turquie est-elle encore une démocratie ?

De cette Turquie compliquée, de sa mosaïque de peuples et de son rôle majeur dans l’aventure humaine, quelques certitudes émergent cependant. À commencer par une nostalgie d’empire et de grandeur passée qui se traduit par l’envie de réintégrer le concert des puissances après des décennies à jouer les seconds rôles. Cette posture nouvelle suppose, un peu comme la France du temps du général de Gaulle, de s’affranchir de nombreux schémas passés pour retrouver une indépendance de parole et d’action sur les plans économique comme militaire. Une forme de non-alignement s’affirme et fait de la Turquie, tour à tour, l’alliée et l’opposant de Washington, l’amie et l’ennemie de Moscou, la partenaire du Qatar et l’adversaire de l’Arabie saoudite, la cousine agitée de l’Union européenne, mais cousine quand même.

Ce qui est beaucoup moins sûr, et qui apparaît explicitement sous la plume des spécialistes réunis dans ce numéro, est de savoir si la Turquie a réellement les moyens de cette politique de puissance. C’est une chose que de vouloir profiter des perspectives ouvertes par un monde multipolaire, notamment au Moyen-Orient délaissé par les États-unis de Donald Trump, c’en est une autre d’être réellement crédible dans la stratégie menée. Le théâtre syrien l’illustre bien : quand Vladimir Poutine commence à taper du poing sur la table, Erdogan se soumet.

L’autre faiblesse de la Turquie est politique. L’épisode Gülen a montré la fragilité de Erdogan, ses déboires aux élections municipales à Istanbul aussi. L’autoritarisme dont il fait preuve – confiscation croissante de la parole médiatique, contrôle des réseaux sociaux, mainmise sur l’économie – n’est pas un signe de force, mais une marque de faiblesse. L’État de droit est en recul qu’il s’agisse des libertés publiques ou de l’application du droit international. Combien de temps la population turque tolèrera-t-elle ce que l’on appelle le « nouveau sultanisme » de Erdogan ?

L’Union européenne, crise migratoire oblige, reste silencieuse sur l’éloignement démocratique de la Turquie. Elle s’en méfie, mais en dépend pour l’accueil des populations syriennes. Longtemps, elle a rêvé de faire de la Turquie un modèle de conciliation entre démocratie et islam et de s’en servir comme d’un pont avec le monde musulman. Ce temps paraît bien éloigné et, à bien des égards, la Turquie fait, aujourd’hui, plutôt figure d’obstacle au projet méditerranéen de l’Europe que de trait d’union.

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