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Persécutions religieuses, facteur de fragmentation ?

parEmmanuel DUPUY, président de l'institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), Alexandre FONTANA, consultant en communication

Articles de la revue France Forum

Des conflits créés, mais aussi des conflits résolus.

En 2019, l’Onu instituait, le 19 août, une journée internationale de commémoration des personnes victimes de violences en raison de leur religion ou convictions. Pourtant, alors que les sociétés occidentales tendent à une postmodernité sécularisée et laïcisée qui, le plus souvent, nie la religiosité de nombreux citoyens et engendre la disparition du religieux comme fait générateur des politiques conduites, on assiste dans de nombreuses autres parties du monde à une augmentation des violences, des tensions et des persécutions à l’égard des croyants de toute religion.


TOUS TOUCHÉS. La carte des persécutions religieuses s’étend, aujourd’hui, très largement. L’Asie est le continent où les persécutions sont les plus nombreuses et les plus radicales. Nombre de croyants, qu’ils soient chrétiens, musulmans, bouddhistes ou juifs, sont réprimés, chassés de leurs foyers, victimes de l’oppression d’Etats (Chine, Corée du Nord, Birmanie, Sri Lanka, Pakistan, Inde…) ou de groupes armés radicalisés (Abou Sayyaf aux Philippines ; taliban et el-Khorasan en Afghanistan ; Jemaah Islamiyah en Indonésie ; al-Qaida dans la Péninsule arabique (AQPA) et milices houthistes au Yémen ; Daech et les nombreux groupes armés, notamment l’ex-front al-Nostra, rebaptisé Tahrir al-Sham en Syrie…).

Alors que le pape François a effectué, les 5 et 6 mars 2021, une visite historique en Irak (après celle effectuée aux Emirats arabes unis en février 2019), l’actualité met en lumière, depuis plusieurs années, les crimes systématiques commis par Daech au Proche et Moyen-Orient, les persécutions contre les chrétiens orientaux en Irak et en Syrie et, plus généralement, au Levant. Ces persécutions n’épargnent, bien évidemment, pas les minorités ethnico-religieuses et courants de pensée au sein de l’espace arabo-musulman (yézidis, alevis, Kurdes, druzes, soufis, chiites…).

L’association évangélique Portes ouvertes, qui dresse un bilan annuel des persécutions contre les chrétiens dans le monde, montre que ces derniers sont particulièrement visés. Elle observe une forte augmentation en Asie et une forte dégradation en Afrique, notamment en Somalie, en Egypte (envers les coptes), au Nigeria (où 3 500 chrétiens ont été tués en 2020 en raison de leur religion). La situation est particulièrement préoccupante dans la bande sahélo-saharienne, élargie à l’Afrique centrale (notamment en République centrafricaine et au Cameroun) jusqu’à la Corne de l’Afrique (avec comme épicentre la Somalie) et désormais en Afrique orientale et australe (est de la République démocratique du Congo et nord-est du Mozambique).

Souvent les relations diplomatiques et consulaires, dictées par la realpolitik, mettent sous l’éteignoir les persécutions religieuses ou de minorités. Cela a été le cas, par exemple, lorsque les puissances occidentales ont jeté un voile pudique sur la situation du Tibet pour assurer des débouchés à leurs grandes entreprises en Chine. Aujourd’hui, en Algérie, en Turquie, au Sahel, au Moyen-Orient, les mêmes causes semblent produire les mêmes effets.

Les musulmans et autres minorités sont aussi largement persécutés en Asie : ainsi des musulmans Rohingyas et des Karens animistes en Birmanie, des Ouïghours au Xinjiang chinois. En Afghanistan ou au Pakistan, ce sont des musulmans qui sont les persécuteurs d’autres musulmans, comme c’est le cas des hazaras afghans chiites, cible privilégiée de l’Etat islamique. En Afrique, l’ensemble des mouvements djihadistes persécutent les autres religions, notamment les chrétiens. C’est le cas, notamment en Egypte ou en Algérie, mais également en Libye où la situation s’est dramatiquement aggravée depuis 2019.

La haine contre les juifs a fait s’exprimer, au cours de l’histoire, toutes les formes de persécutions ; depuis le Moyen Age, du ghetto de Venise aux pogroms slaves jusqu’à la solution finale mise en œuvre par le régime nazi après la conférence de Wannsee, en 1942. L’augmentation des actes violents antisémites en France, en Europe, au Maghreb montre que cette haine se poursuit et qu’il ne faut jamais baisser la garde. Les attentats ciblés contre des symboles de la culture hébraïque en témoignent (Djerba, en 2002, contre la synagogue de la Ghriba ; Casablanca, en 2003, contre le cimetière juif et le siège de l’alliance israélite ; Paris, en 1982, dans la rue des Rosiers ou, en 2015, contre l’hypercacher de la porte de Vincennes ; Bruxelles, en 2014, contre le musée juif ).

L’histoire des chrétiens est, pour sa part, singulière : à la suite du Christ et d’Etienne, ils ont été persécutés par l’Empire romain. De nombreuses figures du début de la chrétienté sont mortes en martyres, persécutées pour ne pas avoir voulu reconnaître la divinité de la figure de l’empereur. Ce sont des penseurs chrétiens – Tertullien, par exemple – qui ont inventé, à la fin du IIIe siècle, le concept de tolérance religieuse. Après l’édit de Milan en 313 et le concile de Nicée en 325, Constantin a progressivement converti l’Empire au christianisme. Soixante ans après, avec Théodose et le credo adopté à Constantinople, le christianisme allait passer de religion persécutée à religion persécutrice. Au cours de la longue histoire, c’est au nom de l’amour du Christ, avec les croisades (y compris contre les orthodoxes), puis l’aboutissement de l’Inquisition et des guerres de religion, que les catholiques ont cherché à exterminer systématiquement toutes les formes d’hérésie.

Les guerres de religion ont été, au cours des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, de puissants vecteurs de fragmentations internes aux Etats (à l’exemple de l’opposition entre catholiques et protestants) autant que source de conflits diplomatiques, à l’aune de la guerre de trente ans (1618-1648) ayant opposé la France et le royaume de Suède au Saint-Empire germanique, à l’archiduché autrichien et au royaume de Hongrie.

Par ailleurs, la colonisation des continents africain, américain et asiatique entre le XVe et le XVIIIe siècle a eu pour vecteur un puissant prosélytisme religieux qui s’est manifesté, notamment par la conversion forcée des populations indigènes locales au christianisme.

Aujourd’hui, par un singulier retour de balancier, on semble assister à une concurrence de plus en plus acharnée entre clergés établis et nouvelles formes de spiritualité, à l’instar de l’ancrage et de l’influence grandissante des mouvements évangéliques dont les prédicateurs entendent influer sur la vie politique aux Etats-Unis, en Amérique latine et sur le continent africain.

Au-delà des persécutions évoquées, la destruction des lieux de culte, sépultures, mausolées et autres symboles religieux, participe de la même volonté d’ostracisation des croyants, quelle que soit leur religion. La convention de La Haye de 1954, portant sur la protection des biens culturels en cas de conflit armé, prend, ici, tout son sens, eu égard au récent conflit ayant opposé l’Arménie à l’Azerbaïdjan.

On le voit, toute religion peut être tantôt persécutée, tantôt persécutrice. Certains penseront que les religions sont le moteur d’affrontements et de violences. Souvent, les lectures historiques simplistes retiennent la version écrite par le vainqueur, glorifiant un camp contre l’autre. La réalité est souvent plus complexe et plus mêlée. Les religions peuvent aussi êtreconsidérées comme un facteur de coexistence, de dialogue interreligieux, de tolérance, de paix, notamment à travers leur rôle de médiation, de facilitation et de résolution des conflits.

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