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Réussir la transition éco-énergétique du maritime

parFrédéric MONCANY DE SAINT-AIGNAN, président du Cluster maritime français (CMF), Emmanuel-Marie PETON, Chargé de mission au Cluster maritime français.

Articles de la revue France Forum

La mer : nouvelle frontière de l’humanité.

2050, horizon désormais largement partagé pour atteindre l’objectif de l’Accord de Paris de ne pas dépasser le seuil de 2 °C, voire de 1,5 °C, d’ici à 2100. Qu’il s’agisse de la stratégie nationale bas carbone (SNBC), des travaux européens avec l’emblématique Green Deal de 2020 ou encore de la stratégie de réduction des gaz à effet de serre de l’organisation maritime internationale (OMI) adoptée en avril 2018, la filière maritime est concernée et mobilisée par ces objectifs nationaux, européens et internationaux. Depuis quelques années déjà, plusieurs projets ont été déployés pour limiter l’impact des activités maritimes sur la qualité de l’air et sur les milieux marins et littoraux. Les nouvelles énergies et l’hybridation pour la propulsion des navires et des bateaux, les démarches d’efficience énergétique ou le déploiement d’énergies en mer en sont des exemples.

La filière maritime participe activement à la transition énergétique de trois façons : tout d’abord, elle va produire des énergies renouvelables et des énergies décarbonées en mer et dans les ports ; ensuite, elle va utiliser massivement des énergies peu et pas carbonées dans ses différents usages ; enfin, elle aura un rôle déterminant dans le transport des énergies de demain, rôle qui a déjà commencé, que ce soit avec des nouveaux navires ou des infrastructures de transport et de stockage.


LES MODÈLES ÉNERGÉTIQUES DE DEMAIN. Trois questions primordiales se posent. Tout d’abord, celle des mix énergétiques : quelles énergies peu et pas carbonées, et les technologies qui leur sont associées, seront utilisées ? Ensuite, celle du modèle économique : de la production de ces énergies à leur utilisation, en passant par l’adaptation des systèmes (navires, bateaux, outils…), comment 

amortir et intégrer les coûts et donc financer ces transformations ? Les plans de relance européen et national comme les dispositifs tel le PIA4 seront essentiels à ce titre. Enfin, celle liée à l’ensemble des conditions de mise en œuvre des nouveaux mix énergétiques et, en particulier, de la supply chain énergétique : comment mettre en place les infrastructures et services adaptés, les cadres règlementaire et fiscal, les talents qui devront opérer cette transition, « col bleu » et « col blanc » ?

La transition éco-énergétique du maritime doit donc être pensée au-delà de la molécule d’énergie utilisée pour faire avancer les navires et les bateaux comme cela est trop souvent le cas. C’est un ensemble de systèmes et d’outils (pêche et aquaculture, manutention portuaire, plaisance…) qui doivent être transformés ou pensés, de la conception à la fin de vie du système en passant par l’ensemble des interfaces entre tous les acteurs d’une même chaîne de valeur.

Il n’y aura pas un modèle, mais un ensemble de modèles énergétiques qui devront s’appuyer sur le triptyque : mix énergétique, sobriété énergétique, protection de la biodiversité. Ces modèles devront s’adapter aux différents types de navires, bateaux et outils, à leurs opérations et à leurs lieux d’opération. Par exemple, une ligne maritime entre l’Asie et l’Europe, une ligne transmanche ou une ligne intra-caribéenne, les types de navires, les productions d’énergie, les infrastructures portuaires seront différents pour répondre aux spécificités opérationnelles et énergétiques.


RELEVER ENSEMBLE LES DÉFIS DE LA TRANSITION. La réussite de la transition éco-énergétique reposera donc sur la capacité de l’ensemble des acteurs du maritime et des autres filières à travailler ensemble car la transition doit être pensée et opérée de façon systémique. Le maritime est souvent un maillon d’une chaîne plus globale. Qu’il s’agisse d’alimentation, de loisirs, de logistique ou de mobilité, un utilisateur ou un consommateur final à terre ou sur le littoral regarde de plus en plus le bilan écologique et énergétique du produit ou du service. Cela incite les chargeurs et les logisticiens à s’engager dans des projets aux chaînes plus propres.

Cette approche en chaîne de valeur doit être complétée par une approche croisée entre les différentes filières car la transition touche toutes les activités et représente aussi bien une capacité à démultiplier les efforts qu’une concurrence sur laquelle baser des arbitrages de façon pragmatique. En effet, la transition va reposer sur des énergies peu ou pas carbonées avec leurs technologies associées pour l’ensemble des activités, ce qui doit conduire à des mutualisations, en particulier pour la production de ces énergies. Les hubs portuaires sont au cœur de cette démarche car, en devenant des hubs énergétiques, ils répondent à de multiples usages : maritimes, fluviaux et terrestres (route et rail), sans oublier les connexions avec l’aéronautique. Les mutualisations peuvent être dans les technologies d’utilisation de ces énergies. Ainsi, en analysant les puissances ou verrous technologiques de différents systèmes (navires, camions, trains, avions, etc.), plusieurs enjeux se recoupent et cela amène à partager des projets industriels ou des programmes de recherche et développement (R&D). La concurrence, quant à elle, va se jouer sur la consommation de ces énergies et son analyse : quels usages peuvent utiliser à quelle échéance (1, 2, 5, 10, 15 ans) quelle énergie de façon à avancer en cohérence avec l’évolution des technologies et la diminution des coûts de production d’énergie et le déploiement de la supply chain.

Cette approche systémique est donc nécessairement corrélée à une démarche collective qui doit être soutenue par des outils et méthodes adaptés à la complexité de cette transition. C’est pourquoi, un projet a été lancé par le Cluster maritime français avec l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) et une coalition d’entreprises, fédérations, centres de recherche et pôles de compétitivité, pour définir une « vision à 2050 de la transition éco-énergétique » dont l’objectif sera de travailler à ces modèles énergétiques grâce à un système numérique d’aide à la décision utilisé dans une démarche collective.

Le système numérique permet de partager des informations et des données, structurées autour d’indicateurs communs, et de réaliser un référencement précis des besoins et des solutions. Grâce à cela, une matrice d’aide à la décision permet de visualiser et de simuler les impacts des modèles énergétiques : vérifier si la technologie est disponible, si des verrous règlementaires doivent être levés ou encore mobiliser des financements. Il s’agit d’avoir une visualisation dynamique des « chemins de solution » pour comprendre ce qu’il est possible de faire dès maintenant et en vue de 2050. Cet outil est complété par un écosystème d’innovations, la « French sea tech », composé du meilleur des innovations du maritime et d’autres filières.

Cette démarche collective sera au service d’experts de tous horizons et permettra, par l’échange d’informations et le retour d’expérience, d’accélérer des pilotes ou des projets industriels à des échelles plus vastes (« ports 0 émission », « lignes logistiques décarbonées », etc.) ainsi que des programmes de R&D.

La coalition pour la transition éco-énergétique du maritime est donc un accélérateur qui s’appuie sur une vision et une démarche collective pour accompagner la transformation des entreprises et des territoires et réussir cette transition urgente pour sauver l’être humain et la planète.

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