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Des conflits d'un nouveau genre

parJérôme PELLISTRANDI, rédacteur en chef de la revue Défense nationale

Articles de la revue France Forum

Le conflit change, le rapport de force demeure.

La disparition récente du président Valéry Giscard d’Estaing et le 25e anniversaire de la mort de François Mitterrand ont été l’occasion de regarder une histoire qui appartient désormais aux historiens. C’était le temps de la guerre froide avec une menace majeure à l’est et quelques conflits périphériques, notamment en Afrique où l’envoi des troupes françaises, aguerries et professionnelles, permettaient de résoudre les conflits, du moins sur le plan militaire, tandis que la dissuasion nucléaire protégeait le sanctuaire national et que 65 000 soldats stationnaient sur le territoire de la république fédérale d’Allemagne, gage de la solidarité de la France avec ses alliés.

La chute du mur de Berlin a alors rendu caduque l’idée d’un affrontement majeur entre deux blocs de puissances opposées. L’émergence – symbolisée par le 11 septembre 2001 – d’une nouvelle forme de conflictualité conduite par 

des groupes terroristes se réclamant de l’islam radical a obligé les armées occidentales à revoir leurs modes d’action face à un ennemi dilué dans l’environnement local et sa population. À partir de 2011, les suites du printemps arabe ont vu l’apparition d’une forme de radicalisation dont Daech en a été l’exemple le plus dramatiquement abouti avec, à la fois, une territorialisation de l’adversaire et le recours à des moyens lourds pour le combat, imposant notamment aux pays engagés de hausser leur puissance de combat. L’exemple de l’opération Barkhane au Sahel en est, aujourd’hui, une illustration significative face à une menace polymorphe en mutation permanente.

Le fait « guerre » n’a pas disparu et reste une réalité des relations internationales en élargissant son champ d’action. La conflictualité actuelle et future se caractérise par sa continuité – dans le but d’imposer sa volonté par la force – et par ses ruptures avec de nouvelles formes plus complexes, plus pernicieuses et donc plus dangereuses comme la manipulation de l’opinion publique internationale.


DES CONFLITS D’UN TYPE NOUVEAU. Le terrorisme de masse introduit par le 11 septembre 2001 a amené une nouvelle forme de conflits dits de basse intensité ou asymétriques dans la mesure où les dommages infligés par les groupes se revendiquant d’un islamisme militant étaient, certes, cruels et spectaculaires, mais ne remettaient pas en cause l’existence même des états attaqués.

À la violence est alors associé un projet idéologique qui va être relayé au sein des populations. Ben Laden utilisait des cassettes audio pour diffuser ses messages ; aujourd’hui, les réseaux sociaux ont pris le relais, bénéficiant de l’essor d’Internet depuis un quart de siècle, et permettent de relayer images et provocations bien au-delà des frontières. Si hier on parlait de « propagande », la fabrique de l’information est, aujourd’hui, une action guerrière à part entière et bien mieux utilisée par les adversaires qui connaissent les points faibles des opinions occidentales. Ainsi, les pertes au combat – bien que faibles numériquement – sont difficilement acceptées dans les États démocratiques. À cela, s’ajoute la manipulation, appelée aussi fake news, qui fragilise la cible visée sans que celle-ci soit en mesure de répliquer. Il en est ainsi au Sahel où certains internautes, notamment russes, multiplient les actions dans le cyber contre la présence française. 

Le champ informationnel est donc devenu central dans la stratégie et s’appuie sur la dualité du numérique dont la maîtrise échappe aux états et même aux Gafam1 que les adversaires savent utiliser pour parvenir à leurs fins.  Le monde virtuel du cyber est ainsi la proie d’une bataille permanente où il n’existe aucun répit.


DES CONFLITS CLASSIQUES. Paradoxalement, la notion de rapport de force reste incontournable lorsque l’on étudie la conflictualité. Surtout lorsque les protagonistes sont des états-puissances comme la Chine ou la russie. Ces états qualifiés par certains de « carnivores » ont besoin de développer un hard power tout à fait conventionnel même s’il contient une dimension nucléaire. L’Inde, en conflit avec la Chine, en particulier dans la zone du Cachemire, a constaté son retard et accroît ainsi ses moyens militaires, notamment par l’acquisition de rafale, permettant de rétablir un équilibre des forces. Il devient important alors de disposer de l’ensemble du spectre des moyens militaires pour parer à toute éventualité face à un ennemi déterminé.

Le conflit récent entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan au sujet du Haut-Karabakh en est une illustration, hélas, très convaincante avec des combats de haute intensité utilisant aussi bien des drones que de l’artillerie classique, de l’infanterie et des systèmes de télécommunications performants, du moins du côté azerbaïdjanais. Bakou avait, non seulement investi, mais aussi préparé ses troupes et la victoire a été totale et donc humiliante pour Erevan.

Pour la France, le raisonnement repose sur l’analyse des contrats opérationnels par rapport aux menaces à prendre en compte. L’exemple de la flotte de frégates de premier rang montre que le format prévu dans la Loi de programmation militaire 2019-2025 fixé à quinze bâtiments est insuffisant pour répondre aux besoins opérationnels. En 2008, la marine mettait en ligne vingt-quatre frégates… Il en est de même pour le parc des avions de combat jugé trop court en cas de conflit classique face à une puissance militaire moyenne.


UNE HYBRIDITÉ DE LA GUERRE. De fait, la guerre est polymorphe et couvre un spectre de plus en plus large avec l’emploi de moyens et de modes d’action plus complexes dont l’agissement sur les opinions et les mentalités. Si, aujourd’hui, les réseaux sociaux et le cyber accroissent les effets, ce n’est que l’utilisation de la « propagande » avec des méthodes plus subtiles. À cet égard, l’Iliadereste entièrement d’actualité avec ses ruses et ses combats où l’individu et le collectif se retrouvent pour un objectif commun. Car, contrairement à ce que pouvait écrire, en 1992, le politologue américain Francis Fukuyama, il n’y a pas eu une fin de l’Histoire, mais plutôt une accélération. La violence est hélas inhérente à l’homme. Les images de décapitation diffusées par Daech ne sont pas différentes dans leur finalité du vae victis de l’Antiquité où le vainqueur détruisait, après la défaite de son ennemi, la cité vaincue.

Cela signifie que les pays de culture occidentale, installés dans un confort stratégique, ne doivent pas oublier que la guerre reste une réalité et qu’elle nécessite, dès lors, une forme de réarmement tant matériel que moral pour pouvoir affronter des menaces violentes et en mutation.

Les conflits sont une réalité dramatique de l’humanité et il serait illusoire de croire que le progrès effacera la guerre. Celle-ci mute en permanence comme un virus et se diversifie en utilisant toutes les ressources de l’intelligence humaine. Pour le meilleur et, hélas, pour le pire.

 


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1. Acronyme pour Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft. (NDLR)

Défense et conflits