© Stefanel/Shutterstock.com

Esthétique de l’imposture. Une expérience humaine de Christian Savés.

Articles de la revue France Forum

Avec ce nouvel essai, Christian Savés nous gratifie d’une réflexion très actuelle, dans une époque de plus en plus désaxée (et la crise sanitaire qui sévit, menaçant de faire sentir durablement ses conséquences, ne devrait guère contribuer à inverser la tendance), produisant un besoin irrépressible d’imposture... et autant d’imposteurs. 

Dans un monde largement devenu celui des apparences, des faux-semblants, sauver la face, c’est d’abord sauver les apparences. L’imposture s’impose alors comme une évidence, presque comme une nécessité. « J’imposture, donc je suis » : l’imposture, c’est la vie. L’intérêt et l’originalité de cet essai sont de le suggérer sans forcément approuver ou condamner ce phénomène de société.

L’auteur cherche d’abord à décrire et à comprendre la prégnance de ce phénomène, son enracinement dans la durée comme dans les esprits. À l’instar de Spinoza, qui ne critiquait pas les actions des hommes mais se proposait seulement d’en acquérir une connaissance vraie, il ne le critique pas et se propose seulement d’en acquérir une connaissance fine, intime. L’essai s’articule autour de deux parties : la première appréhende l’imposture comme construction de soi, la seconde s’intéresse à l’imposture comme construction sociale. C’est qu’elle est (et reste) un phénomène global, dans sa double dimension, individuelle et collective. Le personnage de Socrate est central, dans cet essai, comme dénonciateur des impostures de son temps (qui sont encore largement les nôtres...). Dans la première partie, il illustre l’imposture comme construction de soi : celui qui croit savoir alors qu’il ne sait pas est un imposteur car il fait passer son ignorance pour de la connaissance. Dans la seconde partie, il illustre la parabole démocratique de l’imposture : la démocratie est, en soi, une imposture puisqu’en elle vérité et politique se trouvent durablement dissociées.

Et si, tout simplement, tout tristement, l’imposture était apparue comme une nécessité vitale pour l’individu, qui se met ainsi en « mode survie » dans un monde de plus en plus inhospitalier pour lui ? Au fond, n’est-elle pas devenue un refuge, une échappatoire lui permettant de se soustraire enfin aux injonctions paradoxales que lui adresse en permanence le réel... et qu’il finit par ne plus savoir et/ou pouvoir gérer ? En ce sens, elle est bien le révélateur du malaise, du mal de vivre ambiant. Cette lecture est recommandée à toutes celles et tous ceux qui s’interrogent et réfléchissent sur le monde actuel, sur le sens de leur vie. Elle ne leur apportera pas forcément des réponses toutes faites, encore moins des certitudes, mais une plus grande acuité dans le regard qu’ils porteront sur ce monde et sur eux-mêmes... et, qui sait, un petit supplément d’âme ?

« Questions contemporaines », L’Harmattan, 2020 – 22,50 €

Démocratie
Littérature