FF 61 - Visuel article BOUZOU - PANORAMA

La cinquième grande mutation

parNicolas BOUZOU, économiste, président d’Astérès

Articles de la revue France Forum

De la prévision à l'adaptation.

Après l’invention de l’agriculture (il y a 10 000 ans), le siècle de Périclès (il y a 2 500 ans), la Renaissance (il y a 500 ans), puis la révolution industrielle (il y a un peu plus de 200 ans), le monde connaît sa cinquième grande mutation : celle de la convergence des technologies NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, sciences de l’information et sciences cognitives). Cette mutation génère un gigantesque mouvement de destruction créatrice qui s’effectue, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, à une échelle mondiale, ce qui accroît son ampleur et sa vitesse. L’économie est bousculée, mais aussi les fondements de nos États et notre rapport au travail. Dans ces conditions, la tentation est grande pour les opinions publiques de se tourner vers les solutions de fermeture et de retour vers le passé. C’est la raison de fond qui explique le succès de Donald Trump aux États-Unis ou de Marine Le Pen en France. Plus globalement, tous les pays développés voient monter les nationalismes.

Mais il faut bien comprendre que la politique du repli sur soi remplit le vide laissé par un discours intellectuel et politique « modéré » bien souvent inexistant. C’est pourquoi la tâche la plus urgente, pour tous ceux qui participent au débat public et que les postures extrémistes répugnent, est de construire un discours sur les valeurs qui doivent guider ce mouvement de destruction créatrice et la manière d’adapter nos économies en apportant des protections particulières aux plus fragiles (prenons l’exemple du moniteur d’auto-école qui va perdre son job à cause de la voiture sans chauffeur).

Ce qui a permis, en leur temps, à Jean Pic de la Mirandole, à Emmanuel Kant ou à Adam Smith de faire comprendre à l’humanité la nature du monde qui accouchait et les défis qu’elle allait devoir relever, c’est une connaissance transversale de l’environnement dans lequel ils vivaient.

Justement, la période contemporaine présente bien des traits communs avec la Renaissance et avec le passage du XVIIIe au XIXe siècle. Or, ces périodes ont été marquées par une grande transversalité des savoirs. Ainsi, il y a quelques années, Cynthia Fleury1 a montré que le projet « Renaissant » était affaire de perspective visuelle – c’est évident dans le domaine de l’art –, mais aussi de perspective intellectuelle, cette perspective étant rendue possible par le recul et l’élargissement de la vue. Cynthia Fleury montre que le projet intellectuel de la Renaissance est celui du dialogue des civilisations et des cultures qui s’ignorent, mais aussi celui des ponts jetés entre la philosophie, la théologie, la poésie, la peinture, la musique ou l’astrologie.

Que le monde soit plus complexe aujourd’hui n’annule pas la nécessité d’une transversalité de la pensée : cela la rend plus difficile à atteindre, mais aussi plus nécessaire. Bien sûr, nous avons tout à la fois besoin de spécialistes car comment mener une réflexion globale sans s’appuyer sur ces savoirs ? Mais, pour ne pas rester ballottés dans le chaos du monde, nous avons également besoin de clés de compréhension systémique, pour pouvoir construire un discours politique qui corresponde aux besoins de notre temps et embrasse le large panorama des défis qui se présentent à nous. •


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1. Dialoguer avec l’Orient, « Intervention philosophique », PuF, 2003. 

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