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Le budget européen ? Chut !

parAlain LAMASSOURE

Articles de la revue France Forum

L’argent ne fait pas l’Europe, mais il y contribue.

Le Budget européen ? Chut ! Personne n’en parle. Ce n’est pas un sujet de débat, ni même de conversation. Pourquoi ? Il est trop petit. Minuscule, pour ne pas dire dérisoire : 1 % de la richesse annuelle produite dans l’Union – ce qu’on appelle le PIB. Quand un Français gagne 100 euros, il paye, en moyenne, 46 euros d’impôts et contributions obligatoires ; 45 euros sont redistribués en France et 1 euro seulement finance le budget européen. et pourtant, le budget est le cœur de l’action publique. Combien d’argent consacre-t-on à quelle politique, où le trouve-t-on et qui en décide ? Rappel de quelques évidences méconnues.


LES DÉPENSES ONT VIEILLI, LES RESSOURCES ONT RECULÉ. Les traités prévoient que l’Union est financée par des ressources propres. Tel a été le cas pendant trente ans. Mais, peu à peu, celles-ci ont été remplacées par les contributions des budgets nationaux. Première conséquence : c’est une course à la pingrerie entre les membres de la famille européenne. Voilà vingt ans que le budget de l’Union est plafonné à 1 % du PIB. Deuxième conséquence : alors que son élaboration devrait être un débat commun sur le financement des politiques européennes, elle se transforme en 28 négociations parallèles dans lesquelles chaque État cherche à préserver sa part nationale, favorisant un débat tourné sur  le « juste retour » pour chacun de l’argent qu’il a versé dans le pot commun. Cerise sur un gâteau empoisonné : ce « juste retour » est injuste, les pays les plus riches, suivant le mauvais exemple du Royaume-Uni, ayant réussi à s’octroyer des rabais sur leur contribution théorique. Ce qui mène, aujourd’hui, à une situation où une demi-douzaine d’États membres les plus prospères contribuent relativement moins que les États les plus pauvres.

Or, entre-temps, une demi-douzaine de traités n’ont cessé d’accroître les responsabilités de l’Union. Faute d’une souplesse minimale, les trois quarts des dépenses restent consacrées aux politiques d’origine, la politique agricole et la politique régionale, c’est-à-dire aux priorités d’hier au détriment des besoins d’aujourd’hui et de demain, qui se nomment recherche, grands réseaux, transition énergétique, maîtrise des migrations, sécurité intérieure et extérieure. Les Sommets européens se grisent d’objectifs grandioses qu’il faut ensuite financer avec des pourboires.


FINANCER L’EUROPE DU XXIe SIÈCLE. L’Union prépare actuellement son prochain cadre financier pluriannuel pour la future décennie. Le bon sens et l’expérience commandent de réviser les dépenses en parallèle de la réforme du financement du budget européen, sur la base de nouveaux besoins et de nouvelles priorités.

Avec un préalable dont personne ne parle encore. Les dépenses de l’Union seront perçues comme légitimes par les citoyens dans la mesure où elles portent sur des « biens communs » européens et où il est possible de chiffrer au moins l’ordre de grandeur des économies budgétaires réalisées par le transfert à l’Union de compétences et de charges assumées jusque-là au niveau national. Il est impératif de démontrer aux citoyens qu’à chaque fois que l’Union exerce une compétence en lieu et place d’un État membre, non seulement cela se fait sans charge fiscale nouvelle pour le contribuable, mais permet même, toutes choses égales par ailleurs, de réduire les dépenses publiques totales. C’est l’application du principe de subsidiarité budgétaire. Aucun des « Bercy » nationaux ne s’en est préoccupé jusqu’à présent.

Une feuille de route a été préparée par un groupe dit de haut niveau, présidé par l’ancien Premier ministre italien Mario Monti. Il a proposé de nouvelles ressources propres, élastiques par rapport à l’activité économique, liées à l’intérêt européen, recherchant l’équité entre les citoyens aussi bien qu’entre les États et rapprochant autant que possible les citoyens de l’Union. L’utilisation de l’impôt commun qu’est déjà la TVA, la création d’une taxe carbone, l’imposition des multinationales, notamment numériques, sur une base harmonisée sont les pistes privilégiées. Ainsi sortira-t-on de la logique infernale du juste retour. Le Brexit est l’occasion d’une refonte totale.

Parallèlement, un meilleur contrôle démocratique des ressources du budget européen peut être obtenu : en réintroduisant dans le budget communautaire les fonds ad hoc répondant à court terme aux crises traversées par l’Union mais décidés à huis clos par les États membres sans aucun contrôle démocratique : fonds pour la Syrie, fonds climat, fonds de prévention des migrations, etc. ; en proposant que le cadre financier pluriannuel soit fixé pour cinq ans au lieu de sept, ce qui permettra de le faire coïncider avec les mandats du Parlement et de la Commission. Les législateurs européens seront ainsi élus sur la base d’un programme et de son projet de financement ; en organisant, chaque année, une conférence interparlementaire publique, associant le Parlement européen et les Parlements nationaux, pour débattre des recettes comme des dépenses du budget communautaire, ainsi que des dépenses nationales qui contribuent au financement de politiques communes avant le vote des budgets annuels, nationaux et communautaire.

En France, le président, Emmanuel Macron, appelle de ses vœux une Europe plus ambitieuse et plus solidaire. Ambition et solidarité ne sont pas des notions abstraites. Elles se mesurent, notamment par les ressources que l’on y consacre. L’esprit européen étouffe sous les déclarations ronflantes démenties par l’absence d’espèces sonnantes et trébuchantes. Le rêve aussi a besoin de concret prosaïque.

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