Le dictionnaire du sens interdit - Vertiges
Articles de la revue France Forum
VERTIGES.
Sopor. Vous avez des vertiges ? Questios. La lecture de la presse me donne des vertiges, oui ! Sopor. Il y a tout de même une vraie bonne nouvelle : la vigilance que manifeste le département de la justice américain à l’égard de ces lois sournoisement discriminatoires que les élus de certains États du sud des États- Unis ont adoptées et qui prétendent réserver les toilettes des femmes aux seules personnes de sexe féminin. Questios. Qu’il faille des lois pour protéger les toilettes des femmes contre l’intrusion de personnes qui ne sont pas de sexe féminin, que ces lois soient censurées par le ministère fédéral de la justice et qu’elles mobilisent contre elles les lobbys spécialisés, ça, ça donne vraiment le tournis. On croit entendre comme un éclat de rire qui viendrait du fond du cosmos, comme une note loufoque au milieu d’une partition funèbre. Sopor. Partition funèbre ? Questios. La manière dont les hommes sont capables de se traiter entre eux laisse sans voix. Les djihadistes de l’État islamique se sont emparés du district d’Achin, en Afghanistan. Ils y ont établi leur terreur familière. Furieux qu’à l’occasion d’une naissance une famille ait contrevenu à leur interdiction de tirer en l’air, ils « sont venus, ils ont écartelé le bébé ». Sopor. Pas de stigmatisation culturelle ! Questios. Je sais ! Je sais aussi que certaines grandes personnes peuvent être l’objet, elles aussi, d’attentions très particulières de la part de leurs contemporains. Ainsi, ce commandant de police à Nantes. «Ils l’ont descendu de sa voiture, jeté à terre, lui ont sauté dessus, arraché son casque et l’ont tabassé à coups de pied et de barre de fer ». À Rennes, jets de « boules de pétanque avec des lames de couteau soudées dessus ». Mais, bien sûr, on trouve aussi un peu partout les habituels pavés, cocktails Molotov, ampoules d’acide, etc. Toute une panoplie d’objets ludiques que des casseurs inventifs peuvent lancer en travers de la figure de gardiens en uniforme, chargés de protéger, comme chacun sait, le capitalisme oligopolistique en phase de mondialisation. Le monde est comme une plaie vive sans cesse réactivée. Il y a cette Asia Bibi, condamnée à mort au Penjab, en 2010, en vertu de la loi sur le blasphème, délivrée de cette condamnation en 2015 par la Cour suprême du Pakistan, mais toujours en prison en compagnie de beaucoup d’autres, victimes de cette même loi. Il y a cet attentat du jour de Pâques 2016, à Lahore, qui visait explicitement la minorité chrétienne et qui a fait des dizaines de morts de toutes confessions parmi les femmes et les enfants qui fréquentaient ce jardin public, ce jour-là. Et à Orlando, en Floride, il y a eu cette cinquantaine de victimes abattues en une nuit de carnage. Sopor. Que peut-on faire s’il n’y a rien d’autre à entendre que cette partition funèbre ? Questios. On peut toujours écouter le Stabat Mater de Rossini, toute la douleur du monde concentrée en une heure de musique sacrée. Et c’est peut-être à ce moment-là que surgira sur l’écran de la mémoire le visage d’un enfant, fille ou garçon, que l’on a dans ses environs et qui, du haut de ses deux ou trois ans, a entrepris de prendre la vie d’assaut, y mettant une énergie de commencement du monde. Et alors, tout bascule. C’est Le Sourire de Reims qui s’offre à nous, c’est la saveur délectable des bonheurs du quotidien qui se rappelle à nous, qui s’impose à nous, comme un fulgurant démenti aux images maléfiques dont l’histoire et l’actualité nous abreuvent.