© Gage Skidmore

Pourquoi les Français ne comprennent-ils pas les Américains et encore moins Donald Trump ?

parBernard JOMARD, expert international, entrepreneur

Articles de la revue France Forum

Trump ou pas, les intérêts de la France et des États-Unis sont liés.

Parce qu’hier déjà beaucoup de Français pensaient que George W. Bush était le problème et que Barack Obama serait la solution, nombre d’entre eux ont déchanté. Aujourd’hui, les mêmes Français ne cessent de critiquer Donald Trump, ce nouveau président cynique, fantasque et à la limite du respectable. En fait, Trump ne fait qu’intensifier une communication politique et des guerres économiques larvées, démarrées il y a déjà fort longtemps.


LA POLITIQUE, LA NOUVELLE TÉLÉ-RÉALITÉ ? Si le phénomène existe bien, il ne date pas de l’arrivée au pouvoir de Donald Trump. Il s’est juste accéléré. C’est avec Barack Obama que la communication politique a pris le pas sur le politique. Influenceur et grand communicant, Obama a été le premier à faire appel aux dons privés pour financer sa campagne et pouvoir dépenser sans compter, alors que ses concurrents, eux, limitaient leurs dépenses aux financements publics. Et qui dit dépenses sans limites dit éloignement de la politique à l’ancienne basée essentiellement sur des idées et une idéologie. Avec Obama, la communication politique est tout simplement devenue de la télé-réalité ou, plus précisément, du marketing d’influence utilisant un story telling proche d’un divertissement scénarisé, avec comme seul but : faire émerger une marque, la marque « Obama ».

Trump, ex-animateur de la série à succès « The apprentice », n’a fait que s’engouffrer dans les pas de Obama en accélérant le processus de formatage de l’information afin de mieux coller aux émotions et aux croyances des individus. Pour bien comprendre, il est nécessaire de rappeler que Trump est un ex-démocrate dont la carrière télévisuelle a été lancée, il y a quatorze ans, par son meilleur ennemi d’aujourd’hui Jeffrey Zucker, l’actuel patron de CNN. Zucker, qui dirigeait alors NBC, était à la recherche d’une émission pour remplacer la série « Friends ».


TRUMP ET LE RESTE DU MONDE. Que s’est-il passé en France depuis l’élection de Trump ? C’est relativement simple : rien n’a vraiment changé car la France ne peut se passer des Etats-Unis en matière d’antiterrorisme. Un conflit avec eux est donc inimaginable.

La France a aussi oublié que c’est sous l’ère Obama que l’intensification de l’extra-territorialité des lois américaines a permis de punir la BNP alors accusée par la justice américaine d’avoir contourné, entre 2000 et 2010, les embargos imposés par les Etats-Unis à Cuba, à l’Iran, au Soudan ou à la Libye. BNP a été condamnée à payer 8,9 milliards de dollars d’amende.

La France pouvant avoir la mémoire courte, rappelons que les Etats-Unis n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts, quel que soit leur président.

Qu’en est-il des relations entre Trump et la Chine ? Pour comprendre, remontons en 1999 et citons Bill Clinton, fervent défenseur de l’adhésion de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) : « Nous avons obtenu de nouvelles garanties, très contraignantes, contre un brusque afflux d’importations chinoises, l’entrée de la Chine à l’OMC encouragera le pays à jouer selon les règles internationales. » On connaît la suite.

Notons aussi que l’ambition de la Chine est de devenir, au plus tard en 2049, la première économie mondiale et cela, pour le 100e anniversaire de la fondation de la République populaire de Chine. Cela sera, bien sûr, au détriment des Américains. Cette guerre économique chinoise a commencé par le plan stratégique Belt and Road initiative (route de la soie), lancé en 2013. Il a été suivi d’un second plan stratégique, Made in China 2025, initié par le Conseil des affaires d’Etat, en mai 2015. Grâce à ce plan, les importations chinoises de biens en provenance des Etats-Unis ont baissé approximativement de 3 % entre 2014 et 2018. Les importations américaines de biens en provenance de Chine se sont, elles, accrues de plus de 15 % durant la même période. A ce jour, seul Donald Trump a réagi et pris des décisions afin d’enrayer ces deux programmes. Il est assez peu dit ou écrit en France que, même dans le camp démocrate, nombre de personnalités politiques, dont Elizabeth Warren, sont sur la même ligne que celle de Donald Trump.

Quelle position les Européens doivent-ils adopter dans cette guerre sino-américaine ? L’Union européenne (UE) a accumulé 1 400 milliards d’euros de déficit envers la Chine au cours des dix dernières années, soit près de 1 % de son produit intérieur brut (PIB). Depuis le projet chinois de nouvelle route de la soie, l’UE a aussi vu ses exportations vers les pays traversés chuter d’environ 130 milliards d’euros. Enfin, la Chine capte près de 30 % des marchés publics d’Afrique alors que l’UE assure la sécurité de nombre de pays de ce continent. Le déficit commercial américain envers la Chine est, lui, de 621 milliards de dollars alors que celui envers l’UE est de 140 milliards d’euros. Ces chiffres expliquent la position assez schizophrène de l’UE dans ce conflit.

Trump a, lui, réussi à gérer cela grâce au nationalisme américain, mais l’UE, nourrie de dissensions internes, n’est toujours pas une nation. Il en résulte que l’UE a de plus en plus de mal à se positionner dans cette guerre. Il est assez clair qu’elle serait plutôt avisée de ne pas s’allier avec Pékin pour défendre le libéralisme et le multilatéralisme car, obsédée par ses excédents commerciaux avec le reste du monde, elle est déjà fautive de son manque de contribution équitable à la croissance mondiale. Elle ne doit surtout pas se rapprocher de cette Chine déstabilisatrice de l’économie mondiale établie, qui ne respecte toujours pas les règles du jeu.

Même si Donald Trump provoque une certaine aversion, l’avenir économique de l’UE se trouve toujours à l’Ouest. Il convient donc d’être logique sinon l’UE s’exposera à l’animosité des Etats-Unis de Trump. Avec ou sans Trump, il faudra bien économiquement parlant choisir un jour son camp.

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