Repos des guerriers
Articles de la revue France Forum
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Une demi-siècle sépare Jérôme Leroy de Michel Mohrt. Mais il existe une parenté entre leurs oeuvres : même élégance du style, même sens du récit. Le Breton Michel Mohrt (1914-2011) est trop méconnu aujourd’hui. Éditeur de William Faulkner, de Jack Kerouac et de William Styron chez Gallimard, il rencontra pourtant le succès, en 1961, avec La Prison maritime, avant d’entrer à l’Académie française. La remarquable maison d’édition La Thébaïde a eu la bonne idée de rééditer son premier roman, Le Répit, publié en 1945 chez Albin Michel et depuis longtemps introuvable chez les bouquinistes. Dans sa préface, Jérôme Leroy salue cette « histoire de grandes vacances miraculeusement prolongées même si on sait que la rentrée des classes se fera sous les rafales ennemies ». Le Répit se déroule, en effet, en 1939 et 1940 dans l’arrière-pays niçois où Lucien Cogan, jeune officier d’éclaireurs skieurs, entraîne ses hommes en attendant la possible entrée en guerre de l’italie : « Qui n’a pas connu à vingt ans la joie naïve de revêtir une tenue d’officier ne sera jamais tout à fait un homme. » Outre les longues courses dans la montagne, ses principales distractions sont de courtes équipées vers Nice et le lit de femmes. C’est une drôle de guerre alpine, stendhalienne, lumineuse et insouciante qui nous est décrite. Il est des premiers romans que l’on renie. Ce n’était pas le cas du Répit dont Mohrt pouvait être fier. C’est même un modèle du genre, comme l’est L’Orange de Malte de Jérôme Leroy, lui aussi réédité, il y a peu, par La Thébaïde.
Normand d’origine, Leroy, affecte un communisme raffiné qui n’a d’égal que son goût pour la collaboration à des journaux de droite, de Valeurs Actuelles à Causeur. Son dernier roman, Un peu tard dans la saison, met justement en scène un écrivain quinquagénaire, Guillaume Trimbert, rêvant d’un « communisme sexy, poétique et balnéaire », aux prises avec une jeune capitaine des services secrets, Agnès Delvaux. Celle-ci enquête sur les disparitions successives, aux alentours de l’année 2015, de cadres politiques et économiques de premier plan, mais aussi de simples citoyens. non qu’ils soient enlevés ou tués, mais qu’ils décident de quitter la civilisation ou, du moins, leur univers habituel. Ces disparus volontaires semblent subitement gagnés par un mal mystérieux qui les pousse à faire sécession aux quatre coins de la France périphérique. Cette dissidence doit beaucoup à l’influence du modèle anarcho-autonome que le grand public a découvert avec l’affaire dite de Tarnac et la mise en cause de l’essayiste Julien Coupat. Après la lutte politique viendra le temps du repos, des routes départementales et de la douceur gersoise. Il y a, dans ce roman, du retour au bonheur comme un lointain écho du Ravage de Barjavel. Michel Mohrt aurait adoré ça !
Michel Mohrt, Le Répit, La Thébaïde, 2017 – 18 €
Jérôme Leroy, Un peu tard dans la saison, « Vermillon », La Table Ronde, 2017 – 18 €