Syndrome de Stockholm
Articles de la revue France Forum
Beaucoup de gens profitent des soldes pour refaire leur garde-robe et, à cette occasion, subissent l’environnement « musical » qui règne dans les boutiques.
Extrêmement présent, il est en principe destiné à masquer les conversations. Le son est toujours fortement pulsé, saturé, compressé, pour un résultat incertain dans un système de diffusion le plus souvent hors d’âge. Le résultat, pour la clientèle, est la plupart du temps laid et stressant.
Ce martèlement lancinant et inexorable contribue à inhiber tout effort de réflexion chez des clients qui doivent dépenser le plus possible en un minimum de temps. Il balaie de leur cerveau tout effort d’objectivité (« Ai-je vraiment besoin d’acheter ça ? ») et le dialogue avec l’entourage est rendu plus compliqué encore. Difficile de ménager une place au langage dans un environnement bruyant.
Pire encore, les malheureux employés, muselés par leur contrat de travail (ou ce qu’il en reste), n’ont d’autre choix que de subir toute la journée la torture – légère certes, mais prodigieusement obstinée – de la musique d’ambiance imposée par leur employeur. Ce dernier monnaie auprès de la SACEM (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) et de la SPRE (Société pour la perception de la rémunération équitable) le droit d’infliger à sa clientèle et à son personnel une variété étrangère inintelligible, chantée par de fausses vedettes pour presse pipeule à la voix nasillarde. La SACEM prélève les droits à destination des « créateurs » tandis que la SPRE rémunère, sur la base de l’utilisation réelle des supports (CD, vinyles, supports numériques), des producteurs déjà fortunés qui répandent en masse une piètre musique qu’ils n’écoutent pas. Pour une boutique comptant dix vendeurs, la facture annuelle dépasse 1 000 euros. Pour un café parisien d’une cinquantaine de chaises, il faut compter plus de 2 200 euros par an.
Curieusement, les gens aiment ces chansons. Parfois même, ils les fredonnent ! Demandez à un employé s’il est possible de faire cesser ce tapage, il vous regardera d’un air étonné. Demandez-lui s’il n’est pas gêné par le bruit, au mieux il vous répondra qu’il ne l’entend plus vraiment, qu’il n’y peut pas grand-chose. Parfois même, l’attitude devient franchement hostile.
On trouve, ici, les éléments d’un authentique et massif syndrome de Stockholm. Clients et personnels, pris en otage et privés de leur liberté de pensée par les producteurs de musique et leurs complices (les marchands de vêtements), se mettent à éprouver de la sympathie pour leurs tortionnaires sonores. Bien entendu, une amitié réciproque, toute financière cellelà, lie aussi les bourreaux à leurs victimes. Enfin, le goût venant par l’habitude, les victimes se rebellent volontiers contre le bon sens qui voudrait que chacun puisse jouir, quand ça lui chante, de sa liberté de penser.
C’est probablement pour cela qu’à une époque où l’on organise de loufoques journées sans voiture, personne n’a encore osé rêver d’une journée « sans musique ».