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Voyage en Grèce moderne

parJérôme BESNARD, essayiste, chargé d’enseignement à l’université Paris Cité

Articles de la revue France Forum

La Grèce des années 1950 et 1960 portait encore en elle l’authenticité qu’elle a perdue avec l’arrivée de l’ère du tourisme de masse.

C’est la splendeur de ses paysages et le naturel de ses habitants qui séduisirent aussi bien Lawrence Durrell (Les Îles grecques) que Michel Déon (Le Balcon de Spetsai) ou encore un écrivain voyageur moins connu des lecteurs français, l’aventurier anglais Patrick Leigh Fermor (1915-2011), héros de la Seconde Guerre mondiale qui a notamment combattu en Crète face à l’armée allemande. 

Pour Patrick Leigh Fermor, la Grèce est une perpétuelle source d’émerveillement : « En Grèce tout est passionnant, tout mérite l’attention. Chaque rocher, chaque ruisseau évoque presque toujours une bataille, un mythe, un miracle, une anecdote paysanne ou une su- perstition. » Dans Roumeli, qui s’attache au nord du pays hellène, Fermor nous emmène ainsi à la découverte des Saracatsanes, une pittoresque tribu de bergers nomades aux origines incertaines, puis des monastères perchés dans les falaises des Météores, lieux saints presque inaccessibles, avant de s’attacher au souvenir de Lord Byron à Missolonghi. Comme le fait remarquer Lucien d’azay, préfacier et traducteur de Roumeli, « la Grèce est un état d’esprit dont Roumeli est imprégné de bout en bout ». 

Dans Mani, Fermor nous entraîne dans une tout autre région de la Grèce, les rochers escarpés du Magne, au sud du Péloponnèse. Voilà, du fait de son relief et malgré quelques petits ports, une des zones les moins accessibles de la Grèce : « Tout manque dans le Magne profond. Les porcs forment le seul élevage important. On les nourrit comme leurs maîtres, de figues de Barbie, qui heureusement, abondent. » Il faut dire que le sol y est essentiellement pierreux. Fermor y recueille les traces de nostalgies byzantines des luttes d’indépendance face à l’occupant turc. C’est du Magne, du bourg de Vitylo, que sont sortis au XVIIe siècle, les habitants du célèbre village corse de Cargèse où se célèbrent encore de nos jours des offices byzantins. Dans le Magne règne par-dessus tout le sens de l’hospitalité commun à l’ensemble des Grecs. Un sens de l’hospitalité « fondé sur une authentique gentillesse, profondément ancrée, et sur un sentiment de pitié et de charité envers l’étranger ».

On referme ces deux volumes impressionnés par la culture historique de l’auteur et par sa capacité à redonner chair aux personnages rencontrés au détour de ses pérégrinations. Il avait su prendre tout le temps nécessaire pour comprendre un peuple qui, après avoir fondé notre civilisation, subit les aléas de l’histoire, les occupations franque et turque avant de recouvrer sa souveraineté il y a près de deux siècles. Il a ainsi su décrypter avec ses yeux d’Occidental les tréfonds de l’âme orientale de la Grèce moderne.


 

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Patrick Leigh Fermor, Mani. Voyages dans le sud du Péloponnèse, Bartillat, 2018 – 22 €
Patrick Leigh Fermor, Roumeli. Voyages en Grèce du Nord, Bartillat, 2019 – 22 € 

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