FF 62 - Visuel article VIEL - PANORAMA

Musique

parNicolas VIEL, musicologue

Articles de la revue France Forum

Sur mon pêle-mêle

« Ainsi nous ne verrons jamais le concert le plus simple : de l’estrade “tirer au hasard, tant qu’on peut” sur la foule des auditeurs, leur donner à entendre le bruit suprême – ce concert n’a pas encore eu lieu, peut-être par simple malentendu entre acteur et spectateurs ; en lieu et place, on maltraitera de braves instruments qui n’en peuvent mais : mince compensation que de recueillir les ultimes confidences des couvercles de piano sadiquement torturés ou les gémissements éoliens des harpes que l’on fesse allègrement. Au lieu d’un acte fondamental, absolu, il faudra nous contenter d’anecdotes de choc. » Ainsi s’exprimait Pierre Boulez1 en 1963, utilisant une célèbre citation de André Breton, père du surréalisme. Les spectateurs du concert du 13 novembre dernier au Bataclan n’ont pas eu le sentiment d’assister à un « acte fondamental », mais bien à un « acte fondamentaliste », les artistes étant parmi les otages de cette épouvantable tuerie. Après l’horreur, l’ironie du compositeur à l’égard de ses collègues John Cage et Luciano Berio peut nous sembler imprudente, exagérée, déplacée, mais en aucun cas visionnaire.

Loin de l’atmosphère si délicate du Paris musical des années 1960, un continent reste à découvrir, que nous offre avec générosité l’association Femmes et Musique : celui des femmes compositeurs. Viennent immédiatement à l’esprit les figures victimaires de Clara Schumann et de Fanny Mendelssohn, mais on en oublie les autres : si quelques-unes, comme les soeurs Boulanger, Kaija Saariaho ou Betsy Jolas, ont percé dans ce monde très masculin, une foule d’autres restent à découvrir. Lors d’un concert au forum Léo Ferré à Ivry-sur-Seine (puisque l’on vous disait que c’était loin de Paris !), il a été donné aux spectateurs d’entendre des oeuvres de Hélène Firsova, de Mel Bonis, de Rika Suzuki, de Pierrette Mari, de Fanny et de Betsy déjà citées, ainsi que de Jacqueline Mefano. C’est d’ailleurs cette dernière qui les a interprétées toutes avec la maîtrise qu’on lui connaît. En seconde partie, Thérèse Dussaut interprétait avec Constantin Bogdanas une sonate pour violon et piano composée par sa propre mère, Hélène Covatti-Dussaut. L’hommage, très touchant, était aussi révélateur de l’immense talent de la compositrice, talent hélas mis très tôt sous le boisseau des usages domestiques.

Autre continent musical encore sous-estimé : le catalogue de l’éditeur Delatour France. Des centaines de références de musique actuelle ou ancienne, de pédagogie musicale, des ouvrages incontournables sur la théorie ou des domaines spécifiques de l’histoire musicale, une mine inépuisable qui s’enrichit chaque année de plus de deux cents ouvrages. Cette petite société d’un dynamisme remarquable montre que l’on peut offrir à un public curieux une musique nouvelle et de qualité. Une bonne nouvelle, n’est-ce pas ? 


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1. Penser la musique aujourd’hui, « Tel », Gallimard, 1987, p. 20.

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