Voter Pétain ? Députés et sénateurs sous la collaboration (1940-1944)
Articles de la revue France Forum
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Publié en janvier dernier, cet ouvrage a un immense mérite : il met fin à une doxa communiste et à un mythe gaulliste. la gauche française dénonce, à juste titre, la France de Vichy, d’Aubervilliers, de Saint-Denis, celle de Philippe Pétain, de Pierre Laval et de Jacques Doriot. Ce fut le déshonneur de la République, la honte d’une génération. Certes, mais à un oubli près, souligné par l’auteur : à l’Assemblée nationale – lire dans ces temps anciens la réunion de la Chambre des députés et du Sénat –, convoquée à Vichy par le président de la République, Albert Lebrun, ancien ministre du grand Clemenceau, ce furent 294 élus du Front populaire (ex-communistes, socialistes, radicaux-socialistes et radicaux) et 275 élus de droite qui votèrent, le 10 juillet 1940, les pleins pouvoirs « au gouvernement de la République, sous l’autorité et la signature du maréchal Pétain » aux fins de « promulguer par un ou plusieurs actes constitutionnels » un projet de Constitution. Ils étaient donc 569 à « avoir renié la République » pour reprendre l’expression utilisée bien plus tard par Paul Reynaud.
Seuls 80 députés et sénateurs résistèrent. Seulement 80 ! Et parmi eux, tous les parlementaires démocrates chrétiens du Parti démocrate populaire, hostiles au Front populaire, et ceux de Jeune République qui, eux, y étaient favorables. les centristes étaient alors divisés… déjà !
L’ouvrage a un second mérite : il démontre le trouble des esprits qui avait gagné l’ensemble de la classe politique. le parti socialiste SFIO avait donné son appui au gouvernement du Maréchal et délégué l’un des siens, Georges Monnet, comme ministre de l’agriculture. le président de la Chambre des députés, le très radical socialiste Édouard Herriot, ne tarissait pas d’éloges, lui non plus, sur la personne, la sagesse et l’autorité du maréchal Pétain. Dans les coulisses, le garde des Sceaux, l’ex-socialiste Pierre Laval, de triste mémoire, s’agitait, cajolant les uns, rassurant les autres, menaçant les derniers récalcitrants. le Maréchal, président du Conseil, lui, ne disait rien, attendant son heure.
Cette représentation « nationale » fut la seule coupable. Coupable de ne pas résister, coupable de ne pas avoir dit non à Philippe Pétain, coupable de s’être abandonnée dans la défaite. Deux forces politiques furent les seules à s’y opposer totalement : une force naissante, de Gaulle et les gaullistes, et une force déjà née, les démocrates chrétiens avec Georges Bidault, Maurice Shumann, Eugène Champetier de Ribes et François de Menthon.
Il y eut le jour d’après. Le 11 juillet 1940, par l’acte constitutionnel n° 1, « Nous, Philippe Pétain, Maréchal de France » mettait fin à la République. Naissait alors l’État français. le président de la République, Albert Lebrun, qui avait promulgué la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940 comme un notaire, fut congédié comme un domestique. Les parlementaires furent suspendus avec leurs indemnités. Puis, un jour d’août 1942, le 26, à Vichy, on leur donna cinq jours pour déguerpir, cette fois-ci sans indemnités de licenciement. La IIIe République était bien morte, mais pas la République. Elle allait renaître deux ans plus tard, jour pour jour… à Paris.
Pygmalion, 2015 – 22,90 €