Prendre soin de l'Europe !
Articles de la revue France Forum
Le dernier discours du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, devant le Parlement européen, le 22 octobre 2019, n’a pas été aussi inspirant qu’aurait pu l’être le propos d’un Européen qui, depuis si longtemps, arpente les couloirs du Conseil des ministres, du Conseil européen ou de la Commission.
Certes, il a pu rappeler qu’il avait, en 2014, annoncé combien « sa » Commission (qu’il souhaitait politique) était celle de la dernière chance. Et qu’en dépit des « polycrises » qu’il avait dû affronter, son bilan était, à ses yeux, loin d’être insignifiant qu’il s’agisse de son plan d’investissement, de la croissance économique du continent, d’une certaine souplesse quant à l’interprétation du pacte de stabilité, de la révision de la directive des travailleurs détachés, du maintien de la Grèce dans la zone euro ou de la mise en place d’accords commerciaux internationaux. Il a conclu son adresse en réitérant combien il était « fier d’avoir été, pendant longtemps – surtout ces cinq dernières années –une petite partie de quelque chose qui est bien plus important que nous tous ». Puis, il a martelé : « Prenez soin de l’Europe. Et combattez, de toutes vos forces, les nationalismes stupides et bornés ! »
Au-delà de la consistance du bilan, le président Juncker a exprimé la crainte que le fragile équilibre proposé par l’Union européenne (UE), depuis près de soixante-dix ans, pour contenir des pulsions nationales ne soit sur le point de se briser, faute d’une volonté partagée de relancer le projet commun. Qu’il s’agisse de facteurs exogènes comme le « bullisme » de la présidence Trump, le rêve poutinien de restauration de la puissance « soviétique » ou bien encore la patiente conquête planétaire chinoise, ou d’éléments endogènes comme la situation politique fragmentée et instable au sein de la plupart des états membres de l’UE, il faut être doté d’un optimisme quasi béat ou d’une foi inébranlable pour continuer de penser que l’Union est suffisamment solide pour offrir plus de perspectives que si elle n’exis tait plus. à y regarder de plus près, seul le président français, Emmanuel Macron, s’y essaie avec une volonté qui peut sembler relever de la traditionnelle arrogance française, mais qui a le mérite de faire bouger les lignes. Avec le Brexit qui, après trois années d’atermoiements post-référendum, devrait enfin se réaliser au début de l’année 2020 et une Allemagne entrée, malgré elle, dans une transition lente aussi bien politique qu’économique, le président français joue crânement le rôle de chef d’orchestre depuis son discours prononcé à la Sorbonne. nous sommes loin du grand dessein qui appellerait à des Etats-Unis d’Europe, proche de l’intuition d’une Europe souveraine et puissante permettant à une France modernisée de jouer un rôle de locomotive, conservant ainsi sa capacité d’illuminer l’évolution de la planète.
« Même pas peur ! » Que cette ambition puisse indisposer les partenaires habitués à voir l’UE comme un club privé, riche et tranquille, sans trop d’éléments de souveraineté nationale échappant au contrôle des états, n’est pas étonnant. Même la Commission européenne semble surprise par tant d’impertinence. Le président français en jeune Belmondo flamboyant, sûr de ses effets de manche et toujours prêt à se lancer un nouveau défi comme pour se prouver qu’il est bien le plus apte à changer le cours des choses. Lors du Conseil européen d’octobre 2019, la décision française de ne pas ouvrir immédiatement les négociations d’accession à l’UE pour la Macédoine du nord et l’Albanie lui a été clairement imputée par la plupart de ses partenaires, y compris par le président du Conseil européen, Donald Tusk, et par Jean-Claude Juncker, celuici parlant même d’« erreur historique ». Un doute surgit : est-il possible de concilier l’ambition européenne d’un seul sans aliéner l’ensemble de ses partenaires tout aussi indispensables à la poursuite du projet européen, permanent résultat de concessions réciproques ?