Migration, changement climatique et Covid-19
Articles de la revue France Forum
Du confinement à la migration.
La Covid-19 a plongé le monde dans une situation sans précédent dont toute la mesure n’a pas encore été prise. Outre les impacts sur la santé publique, la situation actuelle a d’importantes conséquences sur les mouvements migratoires. Du Sénégal aux petites îles du Pacifique, les impacts du changement climatique mènent déjà directement ou indirectement des millions de personnes à migrer, avec une potentielle explosion du nombre de migrants climatiques à l’horizon 2050 en l’absence d’action décisive. Il n’est pas encore possible d’avoir un aperçu complet des impacts actuels et futurs de la Covid-19 sur la migration en général et sur la migration climatique en particulier. Toutefois, il est opportun de lancer une réflexion sur la manière dont la crise sanitaire et ses impacts interagissent avec les problématiques migratoires et environnementales car leurs conséquences peuvent être à même de déstabiliser la planète dans les années à venir.
QUELS LIENS ENTRE SANTÉ, MIGRATION ET CHANGEMENT CLIMATIQUE ? Les catastrophes naturelles soudaines et les processus lents de dégradation du climat et de l’environnement peuvent influer directement et indirectement sur la santé des individus. Par exemple, certains décès, maladies et blessures sont directement dus à des épisodes de chaleur et de froid extrêmes ou à des événements météorologiques exceptionnels et soudains tels que les cyclones ou les inondations. Les impacts du changement climatique sur les écosystèmes sont également susceptibles de menacer la santé humaine en altérant la disponibilité et la qualité des aliments, de l’eau potable et de l’air ou en favorisant la prolifération d’insectes vecteurs de certaines maladies. Ces mêmes facteurs contribuent également à façonner les schémas migratoires. Par exemple, avec une augmentation des déplacements de population liés à des catastrophes naturelles, comme en Inde où 5 millions de personnes ont été déplacées en 2019, notamment en raison des inondations. Ces facteurs provoquent également des migrations dues aux impacts économiques du changement climatique, comme la réduction du nombre d’emplois dans l’agriculture, l’élevage ou la pêche. Dans ce contexte, les répercussions de la crise sanitaire sont un autre des éléments qui peuvent pousser à migrer.
Les impacts sur la santé mentale sont également importants car de certaines expériences migratoires peuvent découler des situations de stress et de dépression liées à un sentiment de déracinement et à la perte des réseaux sociaux ou d’un patrimoine culturel. Cela peut, par exemple, être le cas lors de la réinstallation de villages côtiers vers l’intérieur des terres en raison de l’augmentation du niveau des mers, expérience où les individus font souvent face à un profond bouleversement de leur mode de vie. Les études sur les connexions entre santé, climat et migration existent, mais il se révèle nécessaire de se pencher davantage sur cette problématique encore trop invisible. Un des grands défis des prochaines années sera probablement d’approfondir les connaissances dans ce domaine et de les mettre en pratique par le développement de programmes et de projets dans les endroits les plus vulnérables au changement climatique.
Les impacts sanitaires et socioéconomiques sur les migrants sont multiples, mais encore mal connus et sous-évalués. Tout d’abord, les restrictions d’entrée et de sortie en vigueur dans de nombreux pays ont un impact économique sur les travailleurs migrants, mais aussi sur leurs employeurs, par exemple dans le secteur agricole saisonnier. Les revenus de la migration saisonnière permettent à de nombreuses familles de survivre dans un contexte où les effets néfastes du changement climatique limitent les activités d’exploitation des ressources naturelles, comme au Mali. Les candidats à l’émigration ne sont actuellement pas en mesure d’entrer dans les circuits migratoires, ce qui peut avoir des effets négatifs sur leur niveau de vie et celui de leur famille à court et à moyen terme. Le ralentissement économique amène à une baisse des transferts de fonds, comme en Amérique centrale. Cette situation augmente la vulnérabilité des familles des migrants qui vivent dans des conditions environnementales dégradées et dépendent au quotidien de l’argent envoyé par les migrants. En outre, les migrants ont souvent des emplois précaires et un accès limité ou inexistant aux filets de protection sociale et notamment aux services de santé. Beaucoup connaissent des conditions de logement inadéquates qui ne sont pas propices au respect des gestes barrières. Ces situations sont susceptibles d’accroître la vulnérabilité de certains migrants climatiques, que ce soit dans les pays du Nord ou du Sud.
La Covid-19 se propage aussi dans des zones écologiquement fragiles, souvent déjà affectées par les conflits, la pauvreté, les déplacements forcés de population et la fragilité des systèmes de santé, telles que dans la région du lac Tchad. Les conséquences de la Covid-19 s’ajoutent aux vulnérabilités existantes de populations déjà fragilisées. Dans certains contextes, la protection des personnes victimes de catastrophes naturelles ne permet pas le respect des protocoles sanitaires, comme au Vanuatu où s’est abattu récemment un cyclone qui a mené à un regroupement dans des hébergements communs. Considérant le nombre élevé de déplacements de population dus aux catastrophes naturelles, de telles situations sont amenées à se reproduire fréquemment dans le futur proche.
APPRENDRE DE LA MOBILISATION INTERNATIONALE. La notion d’immobilité est aussi à considérer. Certaines personnes parmi les plus vulnérables sont « piégées » dans des zones écologiquement dégradées d’où elles n’ont pas les moyens d’émigrer en raison d’insuffisance de moyens financiers et de réseaux. Avec les restrictions de mobilité dues à la Covid-19, il est possible que se développe un risque accru pour beaucoup de ne pas pouvoir quitter des villes polluées ou des villages ravagés par la sécheresse ou l’érosion côtière.
Des experts et des leaders de l’action climatique soulignent que les réponses nationales et internationales à la crise actuelle démontrent que les gouvernements peuvent rapidement mobiliser de très importantes ressources pour faire face à un danger immédiat et que des changements radicaux d’habitudes ont été acceptés par les populations. Cela offre l’espoir d’une possibilité de réaction similaire face à l’urgence climatique. Par ailleurs, certaines voix s’élèvent pour demander la prise en compte des questions climatiques et de transition énergétique dans les plans de relance, notamment ceux de l’Union européenne. Finalement, la crise peut aider à mettre en valeur le rôle essentiel des migrants dans la gestion de l’épidémie de Covid-19 : des professionnels de santé aux travailleurs essentiels, ils sont nombreux à œuvrer au bon fonctionnement du pays en prenant soin des personnes âgées, en assurant l’ouverture des commerces ou en se chargeant du nettoyage des rues.
Tous ces éléments peuvent influencer le dialogue politique mondial sur la migration et l’action climatique. Au cours de la dernière décennie, les États membres des Nations unies ont reconnu l’importance de traiter des questions migratoires dans les négociations sur le climat, notamment par le biais de l’accord de Paris. Les États se sont également accordés sur la nécessité de gérer les flux migratoires liés au climat dans le Pacte mondial pour les migrations de 2018. Les prochaines échéances internationales consacrées au climat (COP26 de Glasgow de 2021) et à la migration (mise en œuvre du Pacte mondial pour les migrations par le financement de programmes et le développement de politiques migratoires) vont largement se concentrer sur les conséquences socioéconomiques de la Covid-19. Cela pourrait être l’occasion de renforcer le plaidoyer sur la migration climatique, encourager le développement de politiques nationales et régionales sur la migration climatique et le financement de programmes de terrain.
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Les opinions exprimées dans cet article sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement les opinions de l’organisation internationale pour les migrations (OIM).