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Cogiter, méditer, contempler

Articles de la revue France Forum

Je médite donc je suis.

La « méditation » est à la mode… Dans la vie personnelle, l’entreprise et même dans les assemblées parlementaires. C’est bien entendu une bonne chose : tout ce qui favorise un retour sur soi, un ralentissement du rythme sur lequel nous vivons, une prise de conscience accrue de ce qui nous fait vivre ou nous empêche de vivre – tout cela est de fait excellent.

Il ne faudrait pas pour autant voir dans la méditation une technique, de préférence exotique, à saveur orientale. C’est d’abord une attitude, et une attitude dont les prémices ont été discernées avec exactitude dans la plupart des civilisations. Voici ce que Jean Gerson (1363-1429), chancelier de l’université de Paris, théologien et mystique, enseignant à la Sorbonne, avait à dire : « La cogitation est un regard imprévoyant de l’âme, prompt à la divagation. La méditation est un regard prévoyant de l’âme, ardemment consacré à la connaissance ou à la recherche de la vérité. La contemplation est un regard de l’esprit perspicace et libre, c’est-à-dire délié, diffusé partout dans les choses spirituelles et suspendu aux spectacles divins. La cogitation divague donc et rampe sans effort ni fruit. La méditation fait un effort et se dirige avec effort et fruit. La contemplation vole partout sans effort mais avec fruit. Dans la cogitation, on divague ; dans la méditation, on cherche ; dans la contemplation, on admire1. »

Le chemin tracé par Gerson reste de pleine actualité : on peut prier d’abord de façon un peu extérieure, avec sa tête et ses sentiments immédiats, de façon plus ou moins confuse. Il faut bien en passer par là et on y retournera forcément de temps en temps. Mais, peu à peu, on apprend à méditer : méditer, c’est laisser résonner les mots et les images en soi, c’est laisser leur sens se graver en soi (sans faire pour autant un effort trop intellectuel) ; c’est trouver sa nourriture spirituelle dans les écrits ou dans les épisodes de sa vie qui enseignent le plus. Peut-être la méditation se fera-t-elle lentement contemplation : la méditation va encore avec un effort réflexif ; alors que contempler, c’est laisser ses sens se tourner à l’intérieur : la vue, l’ouïe, mais aussi ces sens primitifs que sont le toucher, le goûter, l’odorat et qui vont devenir « sens spirituels ».

Le corps quelquefois peut prier – presqu’à la place de l’esprit. Ce peut être très simple : répéter une phrase, une formule de prière très lentement, en réglant chacun des fragments de phrase sur son inspiration et son expiration. La tradition orientale est très riche en méthodes respiratoires. Ces méthodes sont bonnes et peuvent être suivies, dans la mesure où elles aident à faire une prière, de l’écoute, un acte d’« attention pure ». « Car la prière en son essence est bien “attention pure” » : c’est une expression de la philosophe française Simone Weil. Cette phrase dessine un programme exigeant, mais elle est très vraie. il faut, du reste, prendre garde : si le travail du corps, et notamment de la respiration, fixe l’individu sur lui-même, sur ses capacités de concentration par exemple, il va à l’encontre de ce qu’il faut faire : il devient le centre de son attention. Mais si le fait de régler sa respiration, et peut-être même de tracer quelques mouvements lents guidés par ce travail de la respiration, le décentre de lui-même, l’aide à entrer dans un silence plus riche et plus savoureux que la parole, alors il aura appris à prier avec son corps.

Nous sommes chair, muscles et os, et c’est avec tout notre être que nécessairement nous cogitons, nous méditons, nous contemplons. La règle de base, c’est de trouver une position dans laquelle nous sentons que notre corps se trouve à l’aise : agenouillé sur un banc, assis droit sur une chaise, en position de lotus, allongé peut-être… Quoi qu’il en soit, une fois calmé, stabilisé, le corps saura bien prendre l’esprit par la main pour avancer avec lui sur le chemin dont Gerson, comme tant d’autres, continue à esquisser pour nous le tracé.


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1. De Mystica Theologia, v, 21.

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