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L'économie informelle en Europe

parFriedrich SCHNEIDER, professeur émérite du Research Institute of Banking and Finance de l’université de Linz (Autriche)

Articles de la revue France Forum

La croissance économique est le meilleur remède contre l’économie informelle.

Lutter contre l’économie informelle et l’évasion fiscale est l’une des priorités politiques de nombreux pays dans le monde et ce, depuis très longtemps. Les dernières crises économiques et financières mondiales ont encore renforcé cette volonté.
 

UNE ÉVALUATION COMPLEXE. Il n’existe pas de définition unique de l’économie informelle. On l’entend généralement comme l’ensemble des activités productives légales et des activités de fourniture de biens et de services délibérément soustraites au regard des pouvoirs publics pour quatre raisons : éviter le paiement d’impôts, de la TVA ou autres taxes ; se soustraire au paiement des cotisations sociales ; contourner certaines normes comme le salaire minimum, la durée légale du travail, les conditions de sécurité, etc. ; échapper à certaines procédures administratives telles que devoir répondre à des questionnaires statistiques ou remplir des formulaires.

De ce fait, l’économie informelle ne doit pas être confondue avec l’économie souterraine générée par les activités criminelles1 et avec l’économie informelle des ménages2. En effet, ces deux secteurs ne sont pas comptabilisés dans les activités de l’économie informelle, même s’il existe parfois des chevauchements comme dans le cas de petits travaux de construction, de réparation ou de bricolage réalisés par des professionnels non déclarés en raison de la pression fiscale élevée sur la main-d’œuvre.

Évaluer la taille de l’économie informelle est complexe. Trois méthodes sont généralement utilisées pour y procéder : les « approches directes », microéconomiques ; les « approches indirectes », majoritairement macroéconomiques et faisant appel à un certain nombre d’indicateurs – économiques, mais pas seulement – susceptibles de fournir des informations quant au développement de l’économie informelle dans le temps ; le modèle « MIMIC » (Multiple Indicators and Multiple Causes) qui considère que, s’il est difficile de mesurer directement l’économie informelle, il est possible d’en donner une approximation à partir des variables susceptibles de la développer et d’indicateurs capables de refléter son évolution.


DES DISPARITÉS EN EUROPE. En ce qui concerne la France, la part de l’économie informelle dans le PIB officiel s’élevait à 14,7 % en 2003 ; elle a progressivement diminué pour atteindre 9,9 % du PIB officiel en 2013 (à l’exception de l’année 2009, qui a connu une augmentation de 0,5 point de pourcentage en raison de la crise économique mondiale). De 2014 à 2017, l’absence de réformes économiques et la faible augmentation du PIB de l’économie officielle ont entraîné un nouveau développement de l’économie informelle, passant de 10,8 % à 12,8 % du PIB officiel. L’année 2018 devrait, cependant, pour la première fois depuis 2013, observer une diminution de 0,5 point de pourcentage grâce aux projets de réforme économique en cours.

Concernant la taille moyenne de l’économie informelle dans les vingt-huit pays de l’Union européenne, elle avoisinait 22,6 % du PIB officiel, en 2003, pour tomber à 19,6 %, en 2008. Elle augmente ensuite de nouveau en 2009 (20,1 %) et diminue fortement en 2018 (16,8 %). Les variations de l’économie informelle ne seront, bien évidemment, pas les mêmes selon les pays. Dans la majorité d’entre eux (vingt-trois3 sur vingt-huit), l’économie informelle continuera de se résorber (en moyenne 16,8 % du PIB officiel en 2018) grâce à la reprise économique. En effet, lorsque l’économie officielle se redresse ou connaît un essor, les individus sont moins susceptibles d’entreprendre des activités supplémentaires dans l’économie informelle pour compléter leurs revenus. Dans les cinq pays restants4, l’économie informelle se développera en raison d’une économie officielle peu dynamique ou d’une mauvaise gouvernance. Les pays les plus touchés seront la Croatie (de 26,5 % du PIB officiel, en 2017, à 27,4 %, en 2018) et le Royaume-Uni (de 9,4 % du PIB, en 2017, à 9,8 %, en 2018). À l’inverse, l’Estonie connaîtra la plus forte diminution, passant de 24,6 %, en 2017, à 23,1 %, en 2018.

Trois tendances se dégagent concernant l’évolution de l’économie informelle dans les vingt-huit pays européens. Les pays d’Europe centrale et orientale et/ou les « nouveaux » membres de l’Union européenne ont une économie informelle plus conséquente que les « anciens » membres. De ce fait, on constate une augmentation de la taille de l’économie informelle d’ouest en est. En outre, on observe une augmentation de la taille et du développement de l’économie informelle du nord au sud. En moyenne, les pays d’Europe du Sud ont des économies informelles beaucoup plus développées que les pays d’Europe centrale et occidentale5.

Traduit de l’anglais par la rédaction
 

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1. Les activités souterraines sont toutes les actions illégales qui correspondent aux caractéristiques des activités criminelles classiques telles que le cambriolage, la contrebande, le trafic de drogue, etc.
2. Services entre particuliers ou réalisés par les ménages eux-mêmes qui ne relèvent, en général, d’aucune législation nationale.
3. Autriche, Belgique, Chypre du Sud, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Allemagne, Grèce, irlande, italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Slovénie, Slovaquie et Suède.
4. Bulgarie, Croatie, Hongrie, Roumanie et Royaume-Uni.
5. Le calcul de la taille et du développement de l’économie informelle a été réalisé grâce au modèle MIMIC.
Pour plus de détails, voir de l’auteur (sous la direction), Handbook on the Shadow Economy, Edward Elgar Publishing, Cheltenham, 2011.
De l’auteur, avec Colin C. Williams, The Shadow Economy, The institute of Economic Affairs, Londres, 2013.
De l’auteur, avec Colin C. Williams, Measuring the Global Shadow Economy, Edward Elga Publishing, Cheltenham, 2016.

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