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La Chine, vainqueur de la crise ?

parBarthélémy COURMONT, maître de conférences à l’Université catholique de Lille, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques

Articles de la revue France Forum

Plus que jamais l’empire du Milieu !

Pékin est au cœur de la pandémie mondiale de la Covid-19 que l’administration Trump a qualifiée à plusieurs reprises de « virus chinois ». Principal foyer infectieux en janvier, la Chine a aussi été le premier pays à imposer un confinement très strict, d’abord dans l’agglomération de Wuhan, puis dans d’autres villes représentant un total de près de 300 millions de personnes.

Premier pays à engager un déconfinement et une reprise de ses activités et à relancer une mondialisation mise en sommeil, la Chine a subi, sur le plan politique, une crise avant de s’engager dans une chasse aux critiques. Sur le plan géopolitique, elle n’a pas tardé à repartir de l’avant en poussant son avantage afin d’affirmer sa puissance. Dès lors, l’avenir de la Chine après la Covid-19 questionne tant sur son régime politique, sa relation parfois difficile avec son voisinage, son économie – et par voie de conséquence, l’économie mondiale – et sa place sur l’échiquier international.


UN RÉGIME RENFORCÉ PAR LA CRISE ? La gestion de la crise par l’État-parti a, dans un premier temps, interrogé sur la capacité de Xi Jinping à faire front, le dirigeant chinois se tenant très en retrait au mois de janvier. Son premier ministre, Li Keqiang – qui n’est pas un de « ses » hommes –, a occupé le devant de la scène, notamment en visitant Wuhan, tandis que les révélations des lanceurs d’alerte et les critiques dans l’opinion publique sur les dysfonctionnements du pouvoir se multipliaient sur les réseaux sociaux. C’était oublier l’aptitude de Xi à reprendre les choses en main, ce qu’il a fait dès le mois février en limogeant plusieurs responsables locaux, bouc émissaires désignés, en renforçant le contrôle de toutes les critiques jugées antipatriotiques et en profitant de l’accalmie due au déplacement de la crise vers l’Europe.

La remise en cause du pouvoir central a donc été de courte durée et Xi a, depuis, profité du contexte pour poursuivre ses purges et renforcer son autorité. Il sort ainsi vainqueur sur la scène politique intérieure, mais cet avantage reste fragile en ce qu’il est soumis aux résultats de la reprise économique et à la capacité du pays à ne pas subir une nouvelle vague épidémique. Les luttes d’influence au sein du parti seront sans doute plus âpres dans l’après Covid-19. Le contrôle des voix dissonantes reste, lui aussi, un art parfois difficile et l’exemple de l’écrivaine Fang Fang, qui a publié un récit du confinement à Wuhan dans lequel elle se montre très critique envers la gestion de la crise, n’est qu’une des facettes des contestations auxquelles le dirigeant chinois devra faire face.

Déjà très difficile avant la crise, la relation avec Taiwan s’est complexifiée à la faveur de la remarquable gestion de l’épidémie par Taipei, louée dans le monde entier, qui décrédibilise le discours unificateur de Pékin. Les puissances occidentales, ainsi que le Japon, ont ainsi demandé à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) d’intégrer Taiwan, véritable camouflet pour Pékin, tandis que la diplomatie de Taipei, encore très fragile, est renforcée par la crise. La Chine va devoir ajuster sa politique taiwanaise au risque de voir son image en pâtir ou, au contraire, accentuer ses pressions et creuser ainsi le fossé qui sépare les deux entités.

À Hong Kong, les manifestants pro-démocratie n’ont pas tardé à reprendre leur contestation, montrant leur détermination autant que les limites de l’exécutif pro-Pékin. La Chine a mis en place une loi sur la sécurité nationale qui réglemente les rassemblements et cherche à criminaliser le mouvement. Là aussi, elle joue gros et ne peut se permettre un interventionnisme trop musclé nuisible à son image, d’autant que la crise sanitaire a montré qu’en fermant sa frontière avec le continent Hong Kong a pu contenir l’épidémie. De quoi alimenter le discours de ceux qui veulent prendre leurs distances avec Pékin et augurer de fortes tensions dans l’ancien territoire britannique.


L’ÉCONOMIE CHINOISE EN RÉCESSION ? La mise à l’arrêt de l’économie chinoise pendant plusieurs semaines aura de lourdes conséquences sur la croissance annuelle, mais c’est surtout le redémarrage de l’activité qui soulève des questions et suscite des inquiétudes pour Pékin. Si elle reste l’usine du monde, la Chine est surtout un pays dont l’économie repose sur les exportations et donc sur les flux de la mondialisation. Avec la fermeture des frontières et les promesses de relocalisation aux États-Unis ou en Europe, cette mondialisation aux couleurs chinoises pourrait être profondément affectée. C’est pourquoi la Chine n’a pas tardé à venir au secours de la mondialisation en réaffirmant ses projets d’investissement et en y ajoutant une aide sanitaire, qualifiée à tort ou à raison de « diplomatie du masque ». L’objectif est très simple pour Pékin : faire sortir au plus vite un maximum de pays partenaires de la crise sanitaire et revenir à une normalité dans les échanges.

En effet, les risques économiques peuvent également accentuer des problèmes politiques intérieurs. La légitimité de l’État-parti repose sur un contrat social chinois dont la croissance économique et sociale est le moteur. Si cette croissance s’essouffle, c’est la légitimité du pouvoir qui en sera amoindrie. C’est donc par nécessité plus que par choix que la Chine doit réduire les risques pour son économie, mais aussi celle du monde.

Les défis auxquels Pékin est confronté sont plus nombreux que jamais. Cependant, la Chine est parvenue à sortir de la crise et a repris son ascension politique, profitant des déboires des États-Unis et des divisions européennes. La politique de main tendue vers les sociétés en développement, sorte de variante des routes de la soie avec un volet sanitaire, place Pékin en position de force. Ainsi, tous les pays d’Afrique se sont vu proposer une aide. De telles initiatives se multiplient dans le monde entier, la Chine étant le seul pays à pouvoir se projeter de la sorte.

Pékin profite également des volte-face de Washington pour s’imposer sur la scène internationale et assumer un leadership qui pourrait lui permettre d’accélérer la transition de puissance observée depuis quelques années. Les querelles sur l’OMS, la question de l’ouverture des frontières ou encore les projets d’investissement sont au cœur des stratégies chinoises visant à se projeter dans le « monde d’après ». Les dirigeants chinois tentent ainsi de tirer profit de la situation, comme ils l’ont fait il y a une décennie à l’occasion de la crise internationale qui a accéléré la montée en puissance économique chinoise. Cette fois, l’objectif est de tirer parti de la vacance du leadership international et de plaider en faveur d’une multipolarité dont la Chine serait l’un des principaux acteurs, sinon le principal. L’expression chinoise wei-ji (crise) semble plus que jamais composée des caractères danger et possibilité. 

 

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