« La France, un partenaire politique et économique important du Kazakhstan »
Articles de la revue France Forum
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France Forum. – Comment peut-on qualifier le rôle et la place du Kazakhstan dans le développement de l’Asie centrale ?
Kassym-Jomart Tokayev. – Tout d’abord, en déterminant la place et le rôle du Kazakhstan dans la région, il convient de relever un certain nombre de particularités clés. En premier lieu, c’est la position géostratégique de notre pays : ayant une frontière commune avec des puissances mondiales comme la Russie et la Chine, ainsi que des liens étroits avec les États-Unis et l’Union européenne, le Kazakhstan sert de trait d’union entre les différents groupes régionaux et les acteurs mondiaux. Le Kazakhstan est un pont naturel entre l’Est et l’Ouest, le Nord et le Sud. Cela nous permet d’être toujours proche du terrain.
Aussi, le Kazakhstan se distingue-t-il par l’approche proactive de l’administration du pays dans la politique de l’ensemble de la région. C’est le président Noursoultan Nazarbaïev qui a initié et mis en oeuvre avec succès des projets régionaux tels que l’Union douanière, la Conférence pour l’interaction et les mesures de confiance en Asie (CICA) et la Communauté économique eurasienne (CEEA). On peut considérer comme une autre caractéristique importante de notre politique l’idée de promotion du dialogue interculturel et interreligieux, incarnée dans le travail actif du Congrès des leaders des religions mondiales et traditionnelles qui se réunit, à Astana, tous les trois ans.
Comme on le sait, le Kazakhstan est un État pluriethnique et multiconfessionnel, engagé à promouvoir le dialogue interculturel. L’année dernière a été marquée par le 10e anniversaire du Congrès des leaders des religions mondiales et traditionnelles qui s’est réuni pour la première fois en 2003 à l’initiative de notre président. Au fil des années, le Congrès s’est imposé comme un mécanisme crédible pour un dialogue mondial entre les religions et les civilisations. Il est devenu un exemple concret de ce que le surpassement des désaccords entre les religions et les cultures n’est possible que par l’instauration de la paix, de la compréhension et du partenariat entre les différents peuples.
Grâce à la politique équilibrée et cohérente du chef de l’État, le volume de l’économie du Kazakhstan est le plus grand de la région. Le Kazakhstan est le leader incontesté parmi les États d’Asie centrale avec un PIB par habitant qui s’élève à environ 13 500 dollars. De nombreux experts reconnaissent également le Kazakhstan comme pionnier dans la région pour l’implémentation des normes internationales en matière de droits de l’homme, de droit de l’environnement, de régulation du système bancaire.
Ainsi, les aspects juridiques, économiques, sociaux et reli-gieux du développement du Kazakhstan permettent de le considérer comme le leader de l’Asie centrale. Il mène une politique de développement pacifique, constructif et démocratique.
FF. – Comment le Kazakhstan peut-il se mettre en valeur sur la scène internationale ?
KJT. – Le Kazakhstan a déjà une solide expérience dans les domaines de haute responsabilité et de haute complexité à l’ordre du jour international, telle que la présidence de l’OSCE, de l’OTSC, de l’OCS et de l’OCI.
En outre, comme je l’ai dit récemment lors d’une conférence tenue à l’École de diplomatie et de relations internationales de Genève, la politique étrangère du Kazakhstan promeut un certain nombre de grandes initiatives. Premièrement, les efforts du Kazakhstan visent à répondre aux défis de la sécurité régionale, tels que la CICA, le Congrès des leaders des religions mondiales et traditionnelles, le G-GLOBAL. Deuxièmement, la priorité de notre politique étrangère a été et reste le renforcement du régime de non-prolifération des armes de destruction massive. En 2007, à l’initiative du Kazakhstan, la zone exempte d’armes nucléaires a été créée en Asie centrale. Nous continuons à plaider activement pour la création de zones similaires dans d’autres régions du monde. Par le biais de l’agence de développement international KazAID, le Kazakhstan, de manière permanente, fournit une assistance technique et humanitaire aux pays d’Asie centrale et à l’Afghanistan en accordant notamment des bourses d’enseignement supérieur aux étudiants afghans, en contribuant aux échanges commerciaux et au développement économique.
Le Kazakhstan participe à la résolution de la crise en Ukraine par le dialogue entre toutes les parties concernées, conformément aux normes du droit international. Grâce à la position active et aux efforts diplomatiques de Noursoultan Nazarbaïev, en septembre dernier, à Minsk, pour la première fois, s’est tenue la rencontre des dirigeants de la «Troïka eurasienne », de l’Ukraine et de l’UE, qui a lancé le processus de règlement pacifique de la crise ukrainienne. Le Kazakhstan est intéressé par le maintien de la coopération politique et économique tant avec l’Occident qu’avec la Russie. C’est pourquoi nous plaidons pour la fin des sanctions et la normalisation des relations entre eux.
Afin d’assurer la sécurité énergétique et la coopération dans la région, le Kazakhstan est attentif à la problématique de la mer Caspienne. Compte tenu de l’attention croissante portée à cette région, comme étant l’un des principaux centres d’approvisionnement en énergie du marché mondial, la diplomatie kazakhstanaise s’est fixé l’objectif stratégique de parvenir à un accord consensuel sur le statut juridique de la mer Caspienne. Les efforts du Kazakhstan visent à en prévenir la militarisation, sa transformation en une zone de conflits et de confrontations géopolitiques. Nous considérons que la mer Caspienne devrait devenir une zone de large coopération internationale qui répondrait aux intérêts des États côtiers ainsi qu’à ceux des consommateurs mondiaux des ressources en hydrocarbures de ce bassin unique. Récemment, une percée a été réalisée dans ce sens : les chefs des cinq États de la mer Caspienne, après de longues négociations, ont signé une déclaration politique qui peut devenir la base d’une future convention sur le statut juridique de cette mer.
FF. – Quels sont les principaux défis que devront relever le pays et la région ?
KJT. – La région d’Asie centrale a toujours été et reste une priorité particulière de la politique étrangère du Kazakhstan. Elle est exposée aux mêmes menaces et défis mondiaux que l’ensemble de la communauté internationale. Il suffit d’évoquer les questions de ressources hydriques, les problèmes écologiques, ceux du trafic de drogue, d’exportation du radicalisme du sud et des conflits frontaliers entre certains de nos voisins. Compte tenu de tout cela, le Kazakhstan s’emploie activement à prévenir ces menaces en partenariat avec ses voisins et les acteurs externes intéressés.
Comme l’a indiqué le chef de l’État dans la stratégie « Kazakhstan-2050 », « le meilleur moyen de stabiliser l’Asie centrale est une intégration régionale. C’est bien par cette voie que nous pouvons réduire le potentiel conflictogène dans notre région, résoudre les problèmes sociaux et économiques pressants, dénouer le noeud des contradictions hydroénergétiques et autres ».
Des institutions internationales telles que l’Organisation de coopération de Shanghai, l’Organisation du traité de sécurité collective, le Centre régional des Nations unies pour la diplomatie préventive en Asie centrale ont un potentiel considérable pour le renforcement de la sécurité régionale. Pour les États de notre région, leur rôle se révèle particulièrement important pour l’amélioration de la situation en Afghanistan et la lutte contre les menaces engendrées par le terrorisme international et l’extrémisme religieux.
Nous sommes convaincus que la réussite du développement et de la coopération de tous les États de la région assurerait la stabilité et la sécurité en Asie centrale.
FF. – Comment la France et les entreprises françaises peuvent contribuer au développement de la région ?
KJT. – Traditionnellement, le Kazakhstan et la France ont de nombreux intérêts mutuels dans le domaine de l’économie. Notre coopération politique active avec la France est renforcée par des relations économiques solides établies entre les milieux d’affaires des deux pays. La France s’est affirmée comme le partenaire politique et économique très important du Kazakhstan au sein de l’Union européenne. Elle a été la première, parmi les pays européens, avec qui le Kazakhstan a conclu un traité sur le partenariat stratégique. Le Kazakhstan souhaite continuer à attirer des investissements directs et des technologies français dans les secteurs prioritaires de l’économie. Le marché kazakhstanais est fondamentalement différent de ce qu’il a été il y a quelques années. Aujourd’hui, c’est le premier pays d’Asie centrale et le deuxième au sein de la CEI en termes d’attractivité des investissements.
Dans une certaine mesure, cela est lié à la création de l’union d’intégration avec la Russie, la Biélorussie et l’Arménie – la Communauté économique eurasienne qui entrera en vigueur à partir de 2015. Les participants à cette intégration voient s’ouvrir des perspectives de travail sur un marché de 170 millions de consommateurs dont le PIB total s’élève à plus de 2 000 milliards de dollars. Nous estimons que la CEEA a un potentiel immense et qu’elle pourrait être l’une des associations d’intégration les plus efficaces au monde.
Nous sommes intéressés par le développement des relations à grande échelle avec l’Union européenne, notre plus grand partenaire économique et commercial, et investisseur. Tout récemment, le président Noursoultan Nazarbaïev a signé, à Bruxelles, le nouvel accord de partenariat élargi et de coopération entre le Kazakhstan et l’Union européenne qui portera notre interaction à un degré fondamentalement nouveau.
Doté de riches ressources naturelles, le Kazakhstan ne se limite pas à leur exportation. Il se fixe comme objectif stratégique la transformation des matières premières avec l’exportation ultérieure, ce qui améliore grandement la qualité des infrastructures économiques et de ressources. Aujourd’hui, le spectre de l’économie kazakhstanaise va bien au-delà du marché des matières premières. Il serait rentable pour les entreprises françaises d’investir dans la production industrielle, les technologies des télécommunications, des projets innovants et le développement de l’infrastructure de notre pays.
Le Kazakhstan diversifie son économie et a adopté une nouvelle « politique verte ». Dans ce contexte, nous organisons l’EXPO-2017 qui donnera une puissante impulsion à la modernisation continue de l’économie du pays et servira de plate-forme pour l’innovation dans le domaine de l’énergie mondiale.
Je saisis cette occasion pour exprimer ma gratitude au gouvernement français pour son soutien à la candidature d’Astana lors de la campagne pour obtenir le droit d’accueillir l’EXPO-2017. Nous espérons que le pavillon français sera l’un des plus visités et que les entreprises françaises prendront une part très active à cette exposition.
FF. – Compte tenu de votre expérience en qualité de secrétaire général adjoint des Nations unies-directeur général de l’Office des Nations unies à Genève et de secrétaire généralde la Conférence du désarmement, comment voyez-vous, en tant que président du Sénat, votre rôle dans les relations avec les puissances et les organisations internationales et régionales ?
KJT. – Je tiens à noter qu’avant la prise de mes fonctions à l’Onu j’ai déjà eu l’expérience à la tête du Sénat, du gouvernement et du ministère des Affaires étrangères de mon pays. L’expérience du travail de coordination des grandes structures internationales, de la tenue des forums a incontestablement enrichi la pratique des activités sénatoriales, notamment par rapport à l’organisation de tels événements. Des contacts plus étroits se sont établis entre le Kazakhstan et l’Onu, ainsi qu’avec d’autres institutions internationales, y compris dans le cadre de la diplomatie parlementaire.
Traditionnellement, le président du Sénat du Kazakhstan combine son travail avec les activités de chef du secrétariat du Congrès des leaders des religions mondiales et traditionnelles. À la lumière des événements internationaux d’actualité, en tant que chef du secrétariat du Congrès, je m’emploie à contribuer au renforcement de la coopération et l’interaction plus étroite entre les leaders religieux et les hommes politiques.
À titre d’exemple, on peut évoquer la coopération entre le secrétariat du Congrès et l’Alliance des civilisations, structure internationale créée sous les auspices de l’Onu qui participe activement au Congrès interconfessionnel kazakhstanais.