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Les tigres et dragons asiatiques : un modèle de leapfrog pour les lions africains ?

parDavis JOHNSON, directeur et cofondateur de R+I Creative et de ReThink Live

Articles de la revue France Forum

Le roi des animaux au cœur de la jungle économique mondiale.

Il n’y a jamais eu meilleure période pour être entrepreneur en Asie et en Afrique. Nous assistons à un glissement d’influence des États-Unis vers l’Asie, en particulier dans le domaine de l’innovation technologique. Des capitales telles que Singapour, Séoul, Bangkok, Bangalore, Pékin, Shanghai sont devenues les nouveaux hubs mondiaux du business à partir desquels une jeune génération d’entrepreneurs asiatiques avides de changer la donne émerge.


DU LOCAL AU GLOBAL. Cette dynamique prend toute sa dimension avec les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi), les nouveaux GAFA asiatiques, encore souvent méconnus du grand public occidental et ce, malgré leurs succès et leurs nombreuses innovations dans le plus grand marché du monde : la Chine et le reste du continent asiatique.

L’une des réussites les plus éclatantes de ces dix dernières années en Asie est Alibaba, le géant du e-commerce mondial, fondé en 1996 par le charismatique entrepreneur chinois Jack Ma.

En septembre 2014, Alibaba signait la plus grosse entrée en bourse de l’histoire, avec une valorisation du groupe à 168 milliards de dollars, soit un montant supérieur à la capitalisation de ses concurrents américains Amazon et Ebay.

Cependant, le succès d’Alibaba n’est pas un cas isolé ; c’est l’arbre qui cache la forêt de ces nouvelles entreprises asiatiques comme Huawei, Tencent, JD.com, OPPO, BYD, Go-Jek, Didi Chuxing, qui, après s’être confortablement installées sur leur marché intérieur, partent à la conquête des marchés mondiaux.

Le point commun des tigres1 et dragons2 asiatiques, c’est qu’ils ont, dans un premier temps et pour la plupart, suivi la même formule pour innover : d’une part, s’inspirer intelligemment des principes qui fonctionnent, c’est-à-dire transformer, puis combiner des solutions existantes en les adaptant aux contextes et usages locaux et, d’autre part, attirer les bons talents avec l’impulsion de leaders visionnaires et courageux qui ont su mener les réformes nécessaires pour conduire ces transformations avec succès.

Les deux continents Asie-Afrique concentrent aujourd’hui certaines des économies les plus dynamiques du monde (Thaïlande, Viêtnam, Éthiopie, Tanzanie) et de jeunes entrepreneurs désireux de bousculer les modèles traditionnels.

Cette nouvelle donne représente une formidable occasion de renforcer les échanges Sud-Sud dans tous les secteurs, d’autant que plusieurs économies africaines présentent de nombreuses caractéristiques économiques, sociales et institutionnelles communes avec les Tigres asiatiques : le développement de solutions locales pour résoudre des défis locaux qui serviront de best practices à l’échelle globale ; la pénétration du mobile (600 millions d’utilisateurs en Afrique) qui, non seulement réduit les coûts de communication, mais également transforme les économies et conduit à des innovations révolutionnaires comme les systèmes de transfert d’argent et de paiement mobile, M-Pesa en Afrique ou AliPay et WeChat Pay en Chine ; la capacité de transférer et d’accéder aux fonds a montré qu’elle stimulait la croissance économique dans de nombreux marchés émergents, notamment au Kenya où les transactions mobiles représentent environ 45 % du PIB (50 % pour la Chine) ; l’explosion et l’expansion de l’Internet continuent d’avoir des effets économiques d’entraînement considérables et positifs dans tous les secteurs.

Sur le continent, des pays comme le Kenya, le Nigeria, le Ghana, la Tanzanie et le Rwanda, réunissent un bon nombre de ces critères. Le Rwanda, par exemple, figure régulièrement en tête de liste des indices de bonne gouvernance (Mo Ibrahim Foundation) et de facilité de faire des affaires (doing business). En mettant en place les programmes Youth Connekt et Smart Africa et en procédant à l’ouverture de ses frontières à la fin de l’année 2017, le pays des mille collines poursuit sa politique de modernisation et affiche son ambition d’attirer les investisseurs et les talents afin de devenir le hub technologique et éducatif de l’Afrique de l’Est, à l’image de Singapour, son modèle.


À LA RECHERCHE DES PROCHAINS ALIBABA ET AMAZON AFRICAINS... En 2017, les dirigeants des géants de la Tech, Google, Facebook, Tencent, Alibaba, ont tous visité le continent africain, foyer des populations les plus jeunes du monde avec 60 % de personnes âgées de moins de 25 ans. Le potentiel économique est énorme, surtout si les réformes institutionnelles et socioéconomiques adéquates sont mises en œuvre pour répondre aux enjeux en matière d’éducation supérieure et professionnelle, de création d’emplois et d’infrastructures.

La plupart de ces grands groupes Tech ont bien compris le potentiel de marché et de main-d’œuvre que représente le continent et y investissent déjà, notamment dans des hubs technologiques comme iHub au Kenya, des programmes de formation informatique comme Andela par Facebook au Nigeria, des plates-formes de e-commerce et des réseaux de transport (Taxify).

En juillet 2017, Jack Ma s’est rendu pour la toute première fois sur le continent africain, au Kenya et au Rwanda, accompagné par une délégation de chefs d’entreprise chinois à la recherche de nouvelles perspectives de business et des prochains champions de la Tech sur le continent. Celui-ci a, pour l’occasion, décidé d’assumer un peu plus son rôle de VRP (voyageur, représentant et placier) de luxe de l’initiative « One Belt, One Road » du gouvernement chinois en Afrique de l’Est, au sein de laquelle le Kenya occupe une place particulièrement importante.

Des chiffres encourageants laissent penser que le meilleur de la Tech africaine reste à venir.

Selon le fonds d’investissement Partech Ventures, l’année 2017 reste sur la même lancée ascendante que l’année précédente pour les start-up africaines, avec 560 millions de dollars levés, soit une hausse de 53 % par rapport à 2016 (366,8 millions). Cependant, malgré ces chiffres positifs et les visites de grands dirigeants du classement Fortune 500, les jeunes champions africains continuent de faire face à d’importants challenges, parmi lesquels figurent l’accès à l’investissement et la visibilité de leurs projets sur la scène mondiale.

Dans le même temps, de nouvelles régions d’investissement, autre que l’habituelle Silicon Valley, font leur apparition. En 2017, une première dans l’histoire, l’Asie a égalé la Silicon Valley en termes de montants investis dans la Tech : 71,9 milliards de dollars aux États-Unis et 70,8 milliards de dollars en Asie selon le rapport PwC MoneyTree3.

Cette diversification des sources d’investissement ouvre de nouveaux horizons aux champions de la Tech africains et à une nouvelle génération d’investisseurs asiatiques à la recherche de perspectives dans les pays émergents.

 


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1. Thaïlande, Malaisie, Indonésie, Viêtnam et Philippines.
2. Corée du nord, Taïwan, Hong Kong et Singapour.
3. Rapport de l’année 2017 publié par PwC Canada et CB Insights. 

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