Nouvelles routes, nouveaux enjeux
Articles de la revue France Forum
Le monde a les yeux braqués sur l'Arctique.
Mais des peuples y vivent, il ne faut pas l'oublier.
NICOLAE SCHIAU. – Jean Malaurie vous êtes ethnohistorien, géographe, physicien, auteur de nombreux ouvrages, président d’honneur de l’Académie polaire d’État à Saint-Pétersbourg et ambassadeur de bonne volonté pour l’Arctique à l’Unesco.
JEAN MALAURIE. – Il est difficile de parler de développement dans l’histoire des peuples sans s’interroger sur leur philosophie. Il est clair qu’une société comme la société inuit ne peut pas vivre isolée. Une société progresse par le contact et l’échange. Mais encore faut-il savoir si cela se passe sous le signe de la conquête, de la dépossession et du trop bien connu colonialisme ou bien dans le respect de ces peuples.
Je voudrais rappeler les mots de l’un des esprits les plus brillants de notre génération, Simone Weil. Elle faisait remarquer que le lieu, l’identité, la patrie, ce qu’on appelle l’enracinement est peut-être le plus important et le plus méconnu de l’âme humaine. Le désastre du déracinement, et, pire, du déracinement culturel, est toujours à garder à l’esprit. Nous avons, nous, les Blancs, un grand talent dans notre passé, et peut-être dans notre présent, à nier systématiquement ce qui n’a pas notre couleur. La démocratie a une définition : le respect et l’écoute de l’autre, c’est-à-dire le respect de la marginalité. Or, nous sommes habités – pensons à nous-mêmes – par un racisme culturel.
Quand je faisais mes études à la Sorbonne, beaucoup se demandaient pourquoi j’attachais tant d’importance à des « mangeurs de chair crue ». C’était ainsi et c’est peut-être toujours ainsi. Et à cet égard, il y a, présente dans notre esprit, cette interrogation sur des peuples supérieurs et ceux qui ne le seraient pas.
En Arctique, il n’est plus besoin de dire que nous sommes...