Tourisme industriel
Articles de la revue France Forum
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L'été qui vient de s’achever a peut-être été pour certains d’entre nous l’occasion de donner à nos virées touristiques un côté plus original. Foin des mornes langueurs estivales ! Poussés par la météo ou les enfants qui en ont assez du jokari, nous rangeons temporairement le lait solaire et allons visiter une brasserie en activité, une ancienne chocolaterie devenue musée, une mine à ciel ouvert reconvertie en parc d’attractions.
En musique, nous pratiquons la même chose. Parfois lassés par les chanteurs créatifs, nous rangeons nos casques « bloutousses » pour nous plonger dans des reliques de l’industrie de la variété. Heureusement, pour nous faciliter la tâche, des artistes de tous poils se chargent d’insuffler une nouvelle jeunesse à de vieux rossignols. C’est la mode des reprises et, puisqu’il faut un mot anglais pour chaque fausse nouvelle tendance, c’est la mode des covers ou cover versions.
Dans les années 1940, aux États-Unis, l’industrie du disque voyait apparaître plusieurs versions d’un même tube juste après qu’un enregistrement original avait été particulièrement prisé du public. Cette concurrence acharnée entre labels rivaux existait si les heureux auteurs de la chanson à succès avaient eu la bonne idée de ne pas signer de contrat d’exclusivité. C’est l’origine de cet affreux anglicisme en train de passer dans la langue française.
Aujourd’hui, un chanteur présente facilement comme un hommage la reprise d’un tube de sa prime jeunesse. La concurrence s’est émoussée et le temps a fait son travail. Il ne s’agit plus que de recycler ce qui a déjà marché. Souvent, le résultat se révèle très réussi, voire supérieur : un style réactualisé, de meilleures conditions techniques, une voix familière flattent la partie la plus jeune de l’auditoire. Parfois même, les jeunes se prennent de passion pour une chanson dont ils ne soupçonnent pas l’âge.
Pour aboutir à ce résultat, tout est refait à neuf. Comme un vieux bâtiment dont on n’aurait gardé que les quatre murs extérieurs, ne restent que les paroles et les parties les plus saillantes de la mélodie. L’orchestration, la voix, la rythmique, presque tout est nouveau dans la chanson au point parfois d’en changer la valeur.
Pour prendre un cas extrême, on se souvient du sublime, mais aride, « Tom’s diner » de Suzanne Vega remixé en tube techno pour finir en musique de pub. Plus intéressantes, les reprises R’NB (dites « arène-bi ») des tubes de Jean-Jacques goldman n’ont pas le côté sentencieux et binaire du rock n’roll. D’harmonieux glouglous polyphoniques tissent autour de la mélodie des volutes mélismatiques qui aident à faire passer les laideurs du texte. Comme un garage de banlieue qu’on aurait retapé en palais oriental.
Sans surprise, le nombre des reprises a littéralement explosé avec Internet, enrichissant du même coup les sites de vidéos en ligne. N’importe quel « quidam gratouillant » se change en Georges Brassens, pour le meilleur ou pour le pire, mais il faut bien l’avouer, souvent pour le meilleur. Mais de grâce, pas d’enthousiasme délirant : la mode des reprises n’est pas un eldorado pour les producteurs musicaux. C’est juste une forme sonore de tourisme industriel.