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La ville morte

parNicolas VIEL, musicologue

Articles de la revue France Forum

La Ville morte (Die ToteStadt) est le titre de l’opéra le plus connu de Erich Wolfgang Korngold, compositeur considéré comme le dernier romantique viennois. On célèbre cette année le centième anniversaire de la création de cette œuvre emblématique de son style brillant et élégant.

Tiré du roman symboliste Bruges la Morte de Georges Rodenbach et de la pièce (La Mirage) que ce poète en a tiré, Die ToteStadt est le récit de la passion morbide d’un habi- tant de Bruges, Paul, pour sa femme décédée, Marie, passion qui le mène à voir en une autre femme, la danseuse Marietta, le double de la regrettée. Au cours du premier acte, Paul qui ne se résout pas au décès récent de son épouse, tourne en rond dans une chambre changée en sanctuaire en l’honneur de Marie, ornée de peintures, de photographies et d’une mèche de cheveux ayant appartenu à la défunte. À la fin du premier acte, Marietta, que Paul a croisée dans les rues de Bruges, est introduite dans ce lieu chargé d’émotion par la vertu de son extraordinaire ressemblance avec Marie. À partir de ce moment, durant tout le deuxième acte et jusqu’au début du troisième, Paul entre dans une succession hallucinée de visions qui l’amènent finalement dans les bras de Marietta. Sa dernière vision le voit étrangler la malheureuse imprudente avec la mèche de cheveux de Marie. C’est alors que la servante entre et l’informe que Marietta vient de sonner à la porte pour récupérer l’ombrelle qu’elle avait oubliée. Tout ceci n’était qu’un rêve éveillé, une triste fiction. Paul réalise alors qu’il doit faire le deuil de Marie et quitter cette chambre mémorielle. 

Korngold, enfant chéri de cette Vienne surdouée du début du xxe siècle, a 23 ans quand il écrit Die ToteStadt. Il s’est forgé un style orchestral encore familier : c’est celui qu’il réutilisera plus tard avec plus de simplicité dans les musiques de film composées pour Hollywood (Les Aventures de Robin des Bois avec Eroll Flynn, en 1938) après qu’il a fui l’antisémitisme qui sévissait en europe à partir des an- nées 1930. Il a mis dans cette œuvre très difficile toute son âme, tout son savoir-faire. 

Le titre de la pièce doit beaucoup au roman initial où la ville tient le rôle principal. À l’opéra, la perspective est différente, mais la dernière mise en scène de cette œuvre exigeante, l’an passé à l’opéra de Munich avec Jonas Kaufmann, jouissait d’un dispositif très spectaculaire, où la ville prenait toute sa place. Inspirée de Vertigo de Hitchcock, la lecture de Nikolaus Bachler rappelait que cette œuvre inspira le maître du suspense pour Sueurs froides, en 1958.

En France, l’Opéra national de Paris, comme celui de Massy, ne semble pas prêt à relever ce genre de défi et on peut le regretter. Le public adore Carmen, La Traviata, Le Trouvère, La Flûte enchantée... mais la prise de risque quasi nulle va finir par se remarquer. S’il faut espérer que cette saison 2021 ne ressemblera pas à la précédente, on peut aussi souhaiter que la suivante, en 2022, proposera des productions moins muséographiques.  

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