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Des modèles économiques intelligents

parVictorien TRONCHE, rédacteur en chef du magazine « Réussite » sur Canal+

Articles de la revue France Forum

Le téléphone portable, couteau suisse du XXIe siècle.

Si vous allumez la télévision, vous aurez peu de chance d’entendre parler d’Afrique et, si on en parle, ce sera souvent sous le même prisme : conflit, pauvreté, famine… Le système médiatique de masse est ainsi fait : pour les Occidentaux, l’Afrique est le continent de la misère, un continent maudit. Pourtant, sans nier les difficultés politiques, économiques et structurelles du continent, force est de constater que, sur le plan économique, l’Afrique est en train de devenir un terreau d’innovation.

Le premier aéroport pour drones du monde n’est pas aux États-Unis, mais au Rwanda. Au Niger, les paysans peuvent connaître le cours des marchandises qu’ils vendent dans tous les marchés environnants grâce à leur téléphone portable. Au Cameroun, face à la pénurie de médecins, un jeune entrepreneur a inventé une tablette qui réalise des diagnostics cardiaques à distance. Les exemples sont nombreux, même si le contexte est parfois difficile.

C’est même de ces difficultés que naît la créativité des entrepreneurs africains qui sont en train de façonner une image nouvelle de leur continent. Car l’Afrique connaît un paradoxe économique : les systèmes de gouvernance allient un très fort rôle régulateur de l’État dans les domaines agricole et minier, notamment, mais aussi une impuissance à réguler les autres secteurs de l’économie avec, pour résultat, une très forte culture entrepreneuriale basée sur l’innovation dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne. Le meilleur exemple de cette formidable énergie des entrepreneurs africains s’appelle le Woelab, quartier général des fondus d’informatique de Lomé, au Togo. D’une décharge électronique située non loin de leurs locaux, ils ont fait la source de matières premières pour leur principale invention : la W.Afate, une imprimante 3D conçue avec des déchets informatiques importés d’Europe. La réputation de ces bricoleurs de la tech a dépassé les frontières du Togo. Aujourd’hui, leur imprimante à base de produits recyclés se vend à Paris. 


S’ADAPTER AUX SPÉCIFICITÉS DU CONTINENT. Le domaine des nouvelles technologies est sans doute celui dans lequel l’Afrique est le plus en pointe. Amazon, le géant du e-commerce, n’est toujours pas décidé à s’installer sur le continent ? Qu’à cela ne tienne, les Africains ne l’ont pas attendu ! Leur géant du e-commerce s’appelle Jumia et a réalisé un chiffre d’affaires de 134 millions d’euros en 2015. Son fonctionnement est calqué sur celui de son concurrent américain : faites vos courses en ligne, on vous livre à domicile. sauf que les fondateurs se sont adaptés aux spécificités du continent. Si, en Afrique du Sud, plus d’un habitant sur deux dispose d’un compte bancaire, le chiffre tombe à 10 % en Afrique subsaharienne. Il est impensable d’utiliser sa carte bancaire pour le règlement. Chez Jumia, on peut payer à la livraison, en espèces, et c’est pour cela que ça fonctionne. Car en Afrique, le cash rassure. Ce n’est pas la seule innovation de la start-up. Pour faire du e-commerce en Afrique, il existe un autre obstacle : la livraison. Dans la majorité des pays, le système d’adressage est inexistant et les transporteurs internationaux sont inabordables pour les consommateurs africains. Le site a décidé de créer sa propre société de livraison. Jumia services assure la livraison et la logistique des produits vendus sur le site Internet. Et, par la même occasion, la société est en train de se constituer la plus grande base d’adresses du continent. Aujourd’hui, le groupe Jumia ne se contente plus de concurrencer Amazon, il propose la livraison de nourriture (Jumia Food), la réservation d’hôtels (Jumia Travel), la vente d’objets d’occasion ou la diffusion d’offres d’emploi (Jumia Jobs). 

Le marché africain est à la fois un défi et une formidable chance pour ceux qui veulent s’y frotter. Dans le domaine financier, les banques françaises sont les plus innovantes. C’est le cas de la Société générale. Grâce à des cadres locaux qu’elle a recrutés, elle a pris conscience que le modèle européen des agences bancaires n’était pas adapté aux réalités locales. Pour partir à la conquête des commerçants du secteur informel, la banque a créé une filiale qui leur est dédiée. 

La banque Manko, elle, propose des placements et des prêts, mais aussi un service de transfert d’argent et de retrait d’espèces, à mi-chemin entre l’institution de microcrédit et la banque traditionnelle. Pour aller à la rencontre des clients, la population pauvre de la banlieue de Dakar, les commerciaux se déplacent à scooter, de couleur verte, une façon de casser les clichés de la banque traditionnelle. Mais le principal argument de vente est le coût : 500 FCFA par mois (0,76 euro) pour un compte en banque. En deux ans, la banque a conquis 5 000 clients. 

L’innovation dans le domaine économique est donc une nécessité pour le continent africain. Du fait des spécificités locales, du niveau de vie des populations ou du manque d’infrastructures, les modèles économiques doivent être extrêmement innovants, intégrer le coût de construction des infrastructures, imaginer des solutions alternatives de financement en raison du manque de capitaux. L’Afrique subsaharienne est condamnée à innover pour réussir. Sur ce plan, ce sont les entrepreneurs africains qui ont une longueur d’avance. Mais les grands groupes internationaux peuvent aussi trouver leur place… À condition qu’ils jouent le jeu de l’innovation à l’africaine. 

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